30 octobre 1914

Fonquevillers, 30 octobre 1914

Ma bonne Cécile,

En attendant le vaguemestre qui, je l’espère, va me remettre une lettre aujourd’hui, je viens, le dos au feu, dans ma chambre bien chaude, car des journaux remplacent les carreaux cassés. Je viens, dis-je parler de mon existence de pacha.

J’en suis content, cependant je dois dire pour mon excuse, que si le colonel n’est pas à ma place, c’est parce qu’il se croit plus en sécurité où il est et d’où il m’a fait déménagé. Je dois dire aussi qu’aux tranchées, les hommes ont apporté des aménagements tels que tout à l’heure encore, aux sapeurs auquels je demandais s’ils voulaient loger dans le village plutôt que dans leurs tranchées et il me fût répondu qu’ils préféraient rester.

En effet, ces tranchées garnies de paille sont, comme je crois l’avoir dit, couvertes avec toutes sortes de matériaux portes et planches des maisons abandonnées, côtés de chariot, jusqu’aux dos des bancs de l’église qui est le point de mire des obus allemands… Etc. bref, à part mon lit, je dors malgré les canonnades les plus furibondes, et aussi à part mon petit poêle « Godin » de guise, à part aussi ajouterais-je, la table qui ne laisse rien à désirer. J’ose dit que je ne suis pas mieux que ceux des tranchées ! !

Est-ce assez hypocrite ?

Et malgré ce bien-être, je n’ose demander à continuer de séjourner ici, puisque c’est presque l’inertie. Et cependant on nous dit que le fait de nous maintenir comme nous le faisons, c’est-à-dire d’immobiliser tes troupes ennemies, ailleurs qu’ici se joue un grand coup, est de la bonne besogne. Tu avoueras que faire de la bonne besogne dans ces conditions n’est pas difficile. Et cependant, il ne doit pas être possible de faire mieux.

Mais ma chérie, si cette existence me donne des loisirs, il va sans dire que je les occupe surtout en rêvant, et de ces rêves, tu le devines, qui en est l’objet ? Toi d’abord, puis nos deux chéris, enfin une situation là-bas, ne me quittent pas l’esprit.

J’ai écris ces jours derniers au directeur, aura-t-il le tact de me dire que je peux être tranquille ?

Si toi, ma bonne Cécile, tu as cette assurance, dis-le moi bien, dis-moi si tu n’as aucune contrariété là-bas, c’est mon unique souci. C’est te dire que si tout va bien là-bas que tu n’as aucune préoccupation ni aucun souci à avoir, puisque tu le vois, pour moi aussi c’est le seul.

Hier, il a gelé blanc, et aujourd’hui il pleut, je vais me chercher un livre et j’avancerais mon fauteuil du « Godin » en question.

Ah ! J’oubliais de te dire que dans ma maison, sans maître, j’ai en furetant, trouvé une musique tu sais comme celle de Guery (une boîte à musique en bois, dont on soulève le couvercle, elle ne marchait pas, j’ai réussi à la réparer et j’ai le plaisir d’entendre six morceaux dont « loin du bas » « la fille du tambour-major »,  » la polka du colonel », des mousquetaires au couvent » et aussi le « tour du monde » une valse que j’ai beaucoup entendu jouer dans les ducasses du nord à l’air triste dont j’ai déjà dû te parler.

Mais voilà le vaguemestre, je te parlerais de ma musique plus tard, je t’embrasse bien fort. Ton tout à toi

J.Druesne

Tout va bien pour Robert ! Ci-joint sa carte du 15.

Je n’ai reçu que 2 cartes de Robert l’une du 11 octobre et portant le n° 1 et l’autre du 15 avec le numéro 3. Le numéro 2 qui fait suite à 1, non achevée, ne m’est pas parvenue.

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30 octobre 1914 (JMO du 37e RI)

Même situation que la veille

Cartographie du 30 octobre 1914

 

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