31 octobre 1914

31 octobre 1914

Ma bonne Cécile,

Ne nous plaignons plus de la Poste ! Hier soir, en effet, j’ai reçu en un seul paquet :

1° ta carte du 20 octobre

2° tes lettres des 21, 23 et 24 et celle de Loulou

3°La deuxième partie de la carte de Robert

4° Enfin les différentes annexes que tu m’envoies, lettre du docteur Perrin… etc….

Devine ma joie, merci, merci de cette joie que tu me procures, c’est comme tu le supposes à raison, ma seule distraction, que dis-je ma seule préoccupation.

J’ai donc lu tes lettres avec avidité tu me répètes et tu me l’avais déjà dit, les décès et blessures des gens de là-bas. Hélas ! Ma chérie, tu ne te doutes pas du nombre des disparus. Il faut le moral spécial du Français pour conserver l’esprit dont nos soldats font preuve en ce moment. Heureusement, les événements semblent continuer à prendre bonne tournure.

Mais, en revenant à tes lettres : tu me demande dans ta lettre du 20 courant si je suis fatigué ? Les lettres que tu as dû recevoir ont du t’apprendre la vie de pacha que je menais en ce moment. Je répète que j’en suis honteux. Heureusement que tout le monde ne fait pas comme moi.

Ta lettre du 21 rappelle que tu m’as envoyé deux lettres recommandées. Je les ai reçues, mais je m’étonne que tu n’aies pas reçu le mandat. C’est le meilleur moyen à employer pour envoyer l’argent. Néanmoins je vais essayer d’obtenir une délégation. Mais pour le mois d’octobre, je procéderai encore comme le mois dernier.

Pour l’adresse écrit à l’avenir : Jules Druesne – 2e Porte-drapeaux du 37e – 20e corps d’armée – bureau central militaire de Paris

Est-ce qu’on t’a dit à la trésorerie que c’était par suite d’un vice de forme qu’on avait été obligé d’envoyer le bon du trésor à Paris, ou si c’est une formalité qu’il faudra accomplir chaque fois. Si c’est un vice de forme qui m’est imputable qu’ils le disent, j’en tiendrais compte. Tu me dit aussi que Robert est transféré au château de Manonville. Vois-tu cette coïncidence, moi qui t’ai envoyé la vue de ce château, il y a quelques jours. Dit à Robert d’y trouver un petit cabinet avec une cheminée, rien ne donne un cachet d’intimité comme un petit air de feu. Dis-lui qu’il s’adresse de ma part au gérant du château, au jardinier, qu’il m’excuse auprès de lui de ne pas l’avoir renvoyé son panier dans lequel il m’a remis des poires lors de la visite que je fis au château quand nous logions à Manonville .

Je me contente d’apprendre que tu fais bon ménage avec Eugénie. Vous vous distrayez réciproquement de cette façon. Mais dans quel régiment est Camille et depuis quand n’a-t-elle plus de ses nouvelles ? Eugénie a-t-elle fait des démarches pour son assurance ? Merci aussi de tes renseignements sur Maréville. Tant pis si le contenu des lettres de Robert ou les miennes n’a pas plu. Je ne puis que t’approuver dans tout ce que tu fais. Peut-être pourrais-tu trouver un sac de pommes de terre à Crévic. Nous n’avons pas tout mangé. Je ne connais pas le vieux secrétaire général Abeille dont tu m’annonces le décès.

Que fait Gauny à Verdun ? Y est-il comme appelé militaire, ou est-il en congé. A-t-il quitté l’asile ?

J’attends tes détails sur les aventures du docteur Dezir, dont tu me parles dans ta lettre du 23. Je vais écrire aussi à Robert pour lui donner la date de la circulaire relative aux médecins auxiliaires. Pauvre Henri Dezies! Les cent  Marks lui seront bien nécessaires car, paraît-il, il n’y fait pas gras en captivité.

Descends le paillasson que j’avais mis dans la logette, afin que tu aies moins froid à la cuisine, puisque tu te tiens là maintenant. Tu dois le réclamer ton… Fourneau… dis ?

Je ne suis pas de vie que tu fasses une demande écrite au préfet pour avoir un secours. Mais tu pourrais peut-être aller voir Monsieur Courtois à la préfecture ou lui faire demander un rendez-vous. Là, tu lui rappelleras la promesse qu’il m’a fait lors de mon passage à saint Nicolas.

Tu lui dirais en vue de l’objection qui pourrait lui être faite,  que les employés de Maréville dont le budget est autonome, ne sont pas des employés de l’état, ni des communes et que mon emploi s’il est rémunéré par mois, comporte un travail qui se réparti sur toute l’année. Ainsi par exemple, le budget de 1915 que le conseil général va discuter a été établi par moi , c’est-à-dire que mon travail va servir, alors que je ne suis plus payé. Je ne sais si je me fais bien comprendre, mais explique ma pensée à Monsieur Roche et entends toi avec lui.

Mais, je le répète, je doute beaucoup du succès, il y a tant de misères à soulager, qu’ils vont chercher ou avoir l’air de chercher des économies partout. Or, pour ce qui me concerne on ne peut pas dire que ce sont des économies puisque mes appointements sont prévus au budget.

Ce qui vient à l’appui de ce que je dis, c’est qu’une circulaire vient de paraître qui dit, que non seulement c’est à tort que des administrations ont fait cumuler les appointements avec la solde pour certains militaires, mais qu’elles ont eu tort de payer la différence entre cette solde et les appointements. Tu vois chérie, il y a des fonctionnaires qui ne sont pas au front, qui trouvent le moyen de s’occuper en faisant des circulaires.

Mais si je te dissuade de faire des démarches, c’est pour conserver des arguments au moment des gratifications dans tous les cas ce que tu auras fait sera bien fait.

Il est exact que la solde est augmentée à partir du 1er octobre, Monsieur Gauny a raison, il n’en faut pas parler.

Je passe à ta lettre du 24 octobre. J’ai déjà parlé de Chasselin et je l’emploierai comme cuisinier de l’état-major du régiment.

Que de péripétie pour la famille Guery – j’ai prêté 20 francs à Raymond hier, il paraît qu’un mandat de 60 francs cherche après lui au dépôt dans la Nièvre. On m’avait dit que le gosse Husson était tué.

Gabry chef armurier n’est plus avec nous, l’a expédiée à Tulle à la manufacture d’armes.

C’est exact, ça a chauffé et par ici, mais le 20e corps hypnotise les Prussiens, nous n’avons pas été attaqué et personne ne bouge des tranchées à cause, je te l’ai dit des travaux considérables des défenses d’un côté et autre.

En revanche, quel potin l’artillerie ! Sauf cette nuit ou nous n’avons rien entendu. Ça m’a paru tellement drôle que j’ai peu dormi.

Je vais arrêter ici pour que ma lettre puisse partir.

J’achèverais l’examen de ton dossier, après-midi.

J’ai encore une affaire de conseil de guerre a jugé : vol. Allons chérie amène ton bec que je le mange de caresses. Merci encore du bonheur que tu m’as procuré. J’avais la frousse que la poste ne nous ait joué un tour pour abus de correspondance.

Ton tout à toi

J.Druesne

 J’oubliais de dire merci à Loulou. Sa lettre est très bien. Qu’il dise à Monsieur Merle, je le remercie de son souvenir et que je le félicite (Monsieur Merle) de son enseignement moral. C’est ainsi qu’il fera de bon français. Il est temps car nous dégénérons, il faut hélas le constater, du moins dans certaines régions. Or il n’y a aucune raison pour que nous ne soyons plus viande à canon que les autres.

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31 octobre 1914 (JMO du 37e RI)

Même stationnement que la veille. Dans la nuit du 31 au 1er , 2 bataillons du 354e viennent relever le bataillon du 26e et la 10e compagnie au Nord du village et le bataillon du 79e en face de Gommécourt.

Cartographie du 31 octobre 1914

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