22 novembre 1914
Chère et bonne Cécile
Ce fut une obsession chez moi hier et avant hier, que la date du jour ou nous étions, je t’ai écrit et j’ai écrit à Robert en tronquant les dates, j’en suis certain.
Et cet état d’esprit, tu le devines, provient de ce que je songeais à cette date du 22 novembre, jour de ta fête, qui chaque année est l’objet de mes préoccupations.
Aujourd’hui, ma chérie et cela depuis de longues années, je suis obligée de passer cette fête loin de toi, et ce n’est pas sans un certain serrement de coeur que par la pensée, je me reporte à ce que tu peux éprouver là-bas…
Tu évoqueras certainement le souvenir des fêtes précédentes où en un cortège familial nous venions tous, y compris notre bonne vielle grand-mère, t’apporter nos souhaits de bonne fête, avec quelle émotion, j’évoque à mon tour le souvenir de ces scènes de famille.
Et cependant devons nous désespérer?
Non certainement, pour moi j’ai le ferme espoir que cette situation ne pourra plus durer longtemps, je suis convaincu que notre réunion ne tardera plus.
Et alors ma chérie, quel beau jour ce sera!
Soit fière de nous, de la façon dont ton fils et moi aurons fait notre devoir, car cela aussi, j’en ai la conviction, le sort nous réservera le bonheur de voir l’issue de cette terrible épreuve. Quelle joie dis-je éprouverons nous ce jour-là, surtout si tout se termine au gré de nos espoirs.
Mais je divague ma bonne Cécile et perds le but de ma missive: ta fête!!
Je n’ai pas besoin de te dire n’est-ce pas, de te répéter cette formule: bonne fête??
Je sais trop comment tu vas la passer ou plutôt comment tu l’auras passée, car l’idée me vient seulement que cette lettre te parviendra bien après le jour. Il n’est pas besoin non plus de cette circonstance pour que tu saches à quel point je t’aime et désire la fin de cette épreuve, pour te prouver combien je te suis reconnaissant des moments de bonheur que tu m’as procurés. Et je fais ici le serment que le reste de mes jours sera consacré à te donner des preuves de ma tendresse.
Rien de nouveau ici, le régiment depuis que nous sommes ici est aux lignes extrêmes, mais nous avons peu de pertes. C’est surtout l’artillerie des deux parties qui mène le combat. Il fait très froid, mais tout le monde préfère ce temps au temps pluvieux de ces jours derniers.
Je continue à jouir de “notre vie de château” depuis que nous sommes ici, aucune troupe n’a osé y entrer pensant sans doute que le château est occupé par un général.
Je commence à trouver bizarre que ce château soit respecté par les obus allemands. Ce malheureux village est bombardé de tous cotés, l’église qui est à droite et la gare qui est à gauche, le canal qui est en face et les trains qui sont derrière et le château ne reçoit rien.
Le pays est infesté d’espions, hier on a arrêté deux flamands dans une cave qui avaient avec eux des pigeons voyageurs, à coté, des batteries d’artillerie lourde étaient établies.
Je termine ma chérie, en te souhaitant bon courage, bon espoir et surtout bonne humeur.
Je t’embrasse ainsi que Loulou.
Ton tout à toi
J.Druesne
Pas encore de lettre, ce sera sans doute pour ce soir.
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22 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
Sans changement.
Le Commandant Javelier fut blessé le 22 novembre pendant un bombardement de son PC. C’est le capitaine de la Roque qui pris le commandement du 1er Bataillon.