Toujours au château, 23 9bre 1914
Ma bonne Cécile,
Hier soir, après le départ de ma lettre, j’ai reçu les tiennes des 10, 11, 12, celle de Loulou, une carte de Robert et enfin celle de Robert que tu me communiques.
La cure salutaire que tes lettres précédentes m’a faite s’en est encore ressentie et les mauvais souvenirs sont à présent disparus et ma bonne humeur complètement revenue. Ah, l’effet d’une lettre provenant d’êtres chéris! Y aurait des choses à écrire à ce sujet!
Ma vie de farniente continue ici, j’ai une chance honteuse. Heureusement, comme je l’expliquais tout à l’heure à Robert, que j’a eu une goutte de sang sur mon caleçon l’autre soir, car j’aurais été le seulcombattant du régiment, avec un chef de bataillon, n’ayant encore rien reçu. Tous les officiers ont été tués ou blessés, deux seulement ont été renvoyés à l’arrière pour maladie: un fricoteur (un lieutenant) et Beaurevin (?), ce gentil garçon instituteur frère ou neveu du facteur de Malzéville, atteint lui d’une maladie sérieuse.
Et à ce sujet, ma chérie, je ne comprends pas la proposition que tu oses me faire relative à mon passage à la territoriale. Et d’abord, j e ne cours pas plus de danger avec l’étiquette active qu’avec celle territoriale, puisque nous avons des territoriaux avec nous et puis avec ma vigueur, on se ficherait de moi de demander à passer avec les fainéants, auxquels, revolver au poing, moi seul avec la garde du Drapeau, j’ai fait faire demi tour à près d’un bataillon, officiers en tête, qui foutait le camp devant quelques obus!!
Quant aux généraux mis à la retraite, sur leur demande, tu aurais dû deviner ce que cela veut dire, ce sont des rachitiques ou des jouisseurs que nos chefs ont eu le courage de remercier. Il y a peut être exception pour Folieu (?), qui s’est fait lâcher par ses gascons, mais tant pis pour lui, il devait finir autrement, s’il se sentait incapable de conduire ces fainéants.
Malgré mon ardent désir de t’éviter le moindre souci, je t’en supplie, ne me parle plus de cela. Je t’aime tant si tu savais, quand, au contraire tu m’encourages dans ce que tu appelles mon devoir. Ce n’est pas un reproche, mais je me suis déjà demandé tant de fois, si j’avais bien agi en te promettant de refuser les galons de capitaine.
Mais Chérie, ne considère pas ceci comme un reproche, pourrai je te blâmer toi que j’aime tant et qui te sait animée de si bons sentiments à mon égard. N’en parlons plus!
Merci de tes renseignements pour le Bon du Trésor. Tu dois avoir reçu à présent, le mandat poste de 300f. Garde bien entendu, les 20f que te rendra Me Guery. Ce pauvre Raymond!!
J’ai vu Bilmayer, il a le même poste que le mien. Présentes mes amitiés à M Mme Paulus et Me Horvilleur.
Dis à Mme Gauny que son mari radote. Bien entendu, de l’endroit ou il est placé, c’est à dire à l’arrière, il ne voit que le mauvais coté de l’affaire, c’est à dire les blessés, mais ici il y a d’héroïques compensations, et s’il voit plus de fantassins que d’autres, c’est d’une part parce qu’ils sont plus nombreux et que d’autre part, il faut bien le dire, ils sont aussi plus courageux. Ceci bien entendu, sans critiquer aucune armes, toutes sont utiles et le service de l’intendance surtout est impeccable. Comme tu vas t’ennuyer, ma bonne, quand Eugénie sera partie? Si tu pouvais trouver quelqu’un pendant son absence?
J’ai répondu à Me Vallet et à Roudergues… j’étais passé, en effet à Bologne en quittant l’Est pour l’Ouest.
Ta lettre du 11 me parle de notre gros médecin, en effet il est dégoutant, de ses ripostes grossières on ferait un volume, il y en a cependant dont le comique fait oublié la brutalité.
Bravo pour ta décision relative à ton costume, tu me fais plaisir, tu le sais bien.
Cette lettre du 11 me dit que le brouillard a fait tomber les feuilles. Il y a belle lurette que c’est chose faite ici, et c’est même une particularité cette année, car ordinairement la température est moins basse que chez nous.
Merci des comptes que tu m’envoies. Mais crois-tu que tu ne pourrais pas être mise en possession de notre prime d’assurance puisque tout est payé, sauf je crois, le dernier versement?
J’ai lu et te renvoie les lettres de Robert contenues dans ta lettre du 12. Bon gosse en effet. Que je suis fier, que nous devons être fiers de ce bon fils…
Tu me demandes aussi si j’ai vu le fils Chasselin? Tu es fixée maintenant. Il fait très bien notre affaire malgré la pénurie de tout.
Dis merci à Loulou de sa lettre du 11 et félicite le pour sa place en français.
Voilà ma Chérie, ce qu’il y a de neuf. Le régiment est encore aux tranchées. Je crois qu’il sera relevé demain. Tant mieux, bien que cette relève abrège mon séjour presque féérique en notre château de Boesingue. Mais je souffre de ce bien être quand, ce séjour, la nuit surtout, est si pénible dans les tranchées, où le moindre geste est puni d’une balle ennemie.
Je t’embrasse chérie, de tout mon cœur. Amitiés à tous.
Ton J. Druesne
Au moment où je ferme ma lettre on me remet la tienne du 30 octobre! C’est bizarre après en avoir reçu une du 12! Je m’explique maintenant le deuil de Claire! Pauvre petite. Dis lui de ma part… tout ce qu’il est possible de dire en pareille occasion et félicite madame Gauny de sa décision désintéressée. Je répondrai demain.
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23 novembre 1914 Château de Boesinghe près Ypres
Mon cher Robert,
Je n’ai pu t’écrire hier et je ne le regrette pas, puisque des lettres que j’ai reçues de maman, les tiennes et enfin ta carte du 10 novembre m’annonçant ta rentrée à Manonville après ta visite à Maréville, il en résulte que tout va bien de votre coté. J’ajoute que quelques jours auparavant j’avais reçu tes photographies.
Comme tout cela m’a rendu heureux et combien, j’ai l’esprit tranquille sous votre rapport à tous les deux, maman et toi. Une absence de nouvelles pendant une période d’une dizaine de jours, une petite blessure, une chute pendant la nuit froide dans une fosse de boue, la mort de Raymond, celle de Raoul, des pertes importantes au Régiment etc… m’avaient fait pousser une pointe de mélancolie, voisine de la neurasthénie. Un arriéré de lettres de maman et de toi ont chassé ces nuages en un éclair.
Je suis aussi heureux depuis 4 jours , que j’ai été malheureux pendant les 2 jours précédents. C’était la première fois que je me trouvais dans un pareil état. Ma blessure (ou plutôt le froissement de chair) que j’ai eue provenait d’un shrapnell qui m’a éclaté à quelques mètres au dessus de la tête. J’étais avec mon ordonnance, une bonne bête bien dévouée mais cul comme la lune, sans lui je n’aurai rien eu ou j’aurais été zigouillé comme disent les troupiers. En effet, je sortais de la maison, quand après avoir fait quelques pas, j’entendis l’arrivée du pruneau, vite, demi tour dis-je à mon coneau, celui se précipite sur la porte et ne réussit pas, le 1/3 d’une seconde à tourner la clanche, me séparant par sa grosse personne de la porte, ce n’est qu’au moment ou il réussit à rentrer, que je reçus sur le mollet gauche de la jambe restée en arrière un éclat que je n’ai pu retrouver le matin (ceci se passait le soir) mais il est heureux, je le répète que je l’ai reçu à cet endroit, car d’abord mon mollet est bien fourni à cet endroit là puis le coup a été amorti par ma capote, ma culotte et caleçon tous percés. J’ai une vilaine tache bleue, violette maintenant, comme la main, mais aucune souffrance, je n’ai même pas boité, c’est dommage, car j’aurais peut être été en droit de demander un certificat de blessure. D’autre part, il était temps que mon sang , vit enfin le jour, je suis le seul officier combattant du Régiment avec un chef de bataillon, n’ayant pas encore été « amoché » encore un nouveau terme militaire.
A part cela tout va bien, malgré une température très rude, mais je n’en souffre pas, je vis la vie de château en ce moment, pendant que le colonel est aux tranchées. Les hordes allemandes sont fatiguées de se frotter au brave 37e et ne nous attaquent plus, nous avons au contraire attaqué et gagné du terrain, mais le jeu n’en vaut pas la chandelle, nous l’avons payé cher. As tu vu sur les journaux « un régiment allemand anéanti » ? C’est le brave 37e qui a fait le coup, mais comme pour ce qui concerne le 20e corps, on se sert de nous partout, mais on est rarement à l’ordre. Il reste la satisfaction du devoir accompli. En résumé et notamment pour ce qui me concerne tout va bien. Je te répète encore une fois, mon gros, ne brave pas le danger, sois prudent, si tu as à installer un bureau ou une organisation quelconque, n’hésite pas à doubler le nombre de murs qui peuvent t’abriter de la direction des obus aveugles. Il n’y a pas de fausse honte à cela quand le service n’a pas à en souffrir et c’est ton cas, puisque pour les autres, tu dois durer. Quelle sale plume !!
Allons, je t’embrasse, conserve ta bonne humeur, moi j’avais perdu la mienne pendant 48 heures et suis heureux, grâce à vous deux de l’avoir retrouvée. Je t’embrasse bien fort.
J. Druesne
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23 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
Pas de changement.