21 novembre 1914
Ma lettre d’hier ne doit pas être datée, je ne me souvenais plus du jour.
Ma bonne Cécile
Aujourd’hui et hier pas de lettre mais je vis encore sous l’impression de celles que j’ai reçues les jours précédents.
Je jouis aujourd’hui de la véritable vie de château, la gelée persiste et les pelouses du château ont conservé la petite couche de neige tombée ces jours ci.. De ma fenêtre, je jouis donc d’un véritable panorama d’hiver et de fait il fait frisquet.
Cela n’empêche pas la canonnade d’être chaude, le village intérieur cependant et surtout l’emplacement du château continuent à être respectés. Aux avants lignes la fusillade continue, en raison de la proximité des lignes ennemies, les tirailleurs se bornent à observer le doigt sur la détente prêts à faire feu à la première apparition. Pas d’attaque sérieuse ces jours ci.
Par contre repos pour moi qui suis resté au village avec l’aumônier, Clément, le chef de musique et le gros médecin major. Nous avons eu aussi Narguée (?) hier et aujourd’hui.
Nos cuisiniers emportent les repas au colonel et à Meltz(?) sur la ligne ou ils sont abrités dans une bicoque.
Le pays est de plus en plus dévasté, il faut user de ruses d’apaches pour découvrir le charbon, du laitage ou des œufs sont des choses introuvables.
Ailleurs que dans mon château, le spectacle n’est pas beau. Chevaux tués et achevés gisent partout, voitures brisées et matériel de toute sorte, c’est encore pis entre les lignes où là traînent les cadavres humains.
Ah certes le tableau n’est pas beau. Et cependant, la lueur d’espérance qui n’a cessé de briller chez moi est peut être d’un éclat plus vif encore. Je suis persuadé que nous sommes mieux placés pour supporter cet état de choses que nos adversaires et qu’ils ne peuvent continuer à supporter les pertes importantes que nous leur faisons subir avec des forces bien supérieures aux nôtres. Leurs attaques restent sans succès, ils n’avancent pas, au contraire et cependant l’accès d’un port français parait-il leur est nécessaire.
Attendons donc et espérons.
J’ai d’ailleurs toutes sortes de bonnes raisons pour attendre avec sérénité, je reçois en effet à l’instant une carte (non datée) et une longue lettre datée du 20 octobre venant de Robert où il me donne des détails sur sa situation. Il fait preuve dans sa lettre d’un esprit épatant. Dis lui cependant qu’il écrive un peu mieux, il écrit parfois des mots indéchiffrables qui ne peuvent être lus que par le cœur d’un père.
Je continuerai demain ma chérie, pour répondre à ces lettres qui j’en ai le pressentiment m’arriveront ce soir ou demain matin.
Avec cet espoir, je t’embrasse ainsi que Loulou, Eugénie et tous ceux qui s’intéressent à moi.
Ton tout à toi
J.Druesne
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21 novembre 1914 (JMO du 37 e RI)
Sans changement.