13 novembre 1914
Ma bonne et chère Cécile,
Encore un courrier sans lettres de toi, décidément ils sont bien longs à rétablir leur liaison les postiers. Si réellement ces retards leur incombent, ils n’auront pas mérité des soldats. Enfin, patientons encore et, en attendant, je vais profiter de ce répit qui n’est accordé depuis avant-hier pour venir m’entretenir avec toi.
Je suis resté seul dans la pièce où les officiers de l’état-major qui ne sont pas sur la ligne de feu mangent, c’est-à-dire : le médecin, le chef de musique, l’aumônier (t-ai-je dis que c’est le curé de Ville au Val, un ancien adjudant, vicaire à Jarville qui a été en prison pour bagarre à l’occasion de la politique ?) Clément et moi, à nous viennent parfois se joindre des officiers de passage, blessés, rentrant… Etc….
À chaque repas deux hommes portent le manger au colonel , et à un autre officier que tu ne connais pas, seulement comme il est un peu isolé, il invite les chefs de groupe d’artillerie de cavalerie qui sont auprès de lui .
Ma présence au village , outre la garde du drapeau et les quelques fonctions qui me sont dévolues motivent ma présence ici au village. Chasselin s’en tire assez bien, mais il n’est pas aussi debrouillard que mes deux précédents cuisiniers. Enfin ça ira, je l’espère. C’est qu’en effet, c’est toute une histoire que de faire de la cuisine dans des pays où il n’y a plus rien. C’est même nous qui nourrissons les habitants. Ces braves belges sont restés hospitaliers, bien que ça dure depuis trois mois et qu’ils n’aient pas toujours été récompensés comme ils le méritaient. Mais leur joie en ce moment est grande ici, bien que le bombardement ne cesse pas, en effet, ils voient les prisonniers que nous prenons et constatent le recul que nous infligeons aux allemands et cela les rassure et leur fait oublier leurs misères. Pauvres gens, que ceux du village que j’habite : Boesinger . Je n’écris plus ces noms, ils sont trop barbares d’autant plus que les habitants qui parlent tous flamand, prononcent ces noms à leur façon. Pour mon compte je n’ai pas à me plaindre ni pour la maison ou se fait ma popote, ni où je loge. Tout cela est propre et bien tenu et cependant peu de maisons n’ont pas qui un trou dans le toit, qui dans le mur et ça n’arrête pas.
Je commence à croire que leur manque d’officiers, le malaise des soldats etc…. est de la blague, parce que ceux qui sont embarqués dans les tranchées se défendent bien. Ce sont ceux qui se trouve nez à nez avec nous qui se rendent sans hésiter. Mais il y en a si peu qui ont le courage d’aller se mettre nez à nez avec eux ! ! Mais, ma chérie tu vas peut être dire que je suis morose aujourd’hui : c’est presque vrai, et cependant j’ai tort, car à par le temps qui est ma foi très mauvais, et peut-être aussi parce que c’est le 13 et que c’est vendredi, je n’ai aucune raison d’être moins gai que d’habitude. Nous continuons d’être abondamment pourvus mais ces malheureux qui restent nuit et jour dans les tranchées sont bien à plaindre . Raison de plus pour je ne le fasse pas
À propos de prisonniers que nous venons de faire, je dois ajouter combien j’ai été surpris de leur réponse : ils déclarent qu’ils ignoraient se trouver en Belgique, que leurs officiers leur disaient qu’ils sont à quelques jours de Paris et que dans huit jours la guerre serait finie, que nous n’existeront plus, c’est un gamin de 17 ans et demi qui a dit cela. Je l’ai vu, c’est un blanc-bec, et je ne sais pas trop si ce n’est pas ce morveux Teuton qui m’a flanqué mon cafard actuel.
Si encore j’avais l’aumonier à côté de moi, je le blague sur la mauvaise haleine de ses paroissiennes au confessionnal ! ! Et sur…. ses compensations avec d’autres paroissiennes ! Mais il doit dire ses pater nostres dans un coin à moins qu’il ne soit au poste de secours à la réception des blessés qui arrivent un peu nombreux ; c’est toujours comme cela quand on attaque.
Clément lui, est avec ses téléphonistes ou en train de se bichonner, il vient de recevoir deux chopines d’eau de Cologne ! !
Tu entends des histoires de ce que je lui passe avec ses odeurs. D’autant plus que je ne sais qui lui fournit, mais elle sent rudement bon. Je lui ai dit de m’en donner en échange de celle que je lui ai prêté pour se désinfecter le soir où il s’était couché dans la m…ouscaille , mais j’ai été trop mordant sans doute, il n’a rien voulu savoir. Du reste, j’en ai encore.
À ce sujet présente mes amitiés à la famille Roche, embrasse Eugénie et souhaite lui sa fête, je viens de m’en apercevoir en jetant les yeux sur le calendrier, pour avoir la date, amitiés aussi à Madame Jauny et sa petite soeur à qui je souhaite l’espoir de recevoir de bonnes nouvelles, enfin à tous ceux qui s’interressent à moi. t’ais-je dis de remercier le directeur pour sa citrouille ?
Bons baisers et encouragements à Loulou .
Ton tien qui t’embrasse avec frénésie
J.Druesne
Cette lettre que je ne relis pas est peut-être un peu décousue, mais elle m’a fait du bien.
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Boesinghe, près de Hypres sur le canal de l’Hyser 13 9bre 1914
Mon gros Robert,
Tout continue à marcher aussi bien que la température le permet, il pleut constamment ces jours derniers et ça n’est pas gai dans les tranchées, la nuit surtout. Je ne parle pas de moi, j’ai encore la chance d’être à l’abri dans un village, canonné il est vrai jour et nuit, mais non mouillé. Tandis que nos malheureux à mille mètres plus loin, sont mouillés par dessus le marché. Heureusement, il est possible de continuer à les ravitailler, car autrement ça ne pourrait continuer.
Cela ne les empêche pas d’avancer lentement, c’est vrai, de regagner le terrain perdu par nos vachards de territoriaux et même de faire des prisonniers. Il reste peu de soldats de l’active au 37e et c’est extraordinaire comme ce faible noyau sait entretenir la tradition au régiment. Ici on reculait, l’Yser était franchi, le lendemain de notre arrivée, nous passions ce canal. Aussi les boches nous font-ils sentir leur colère avec leur artillerie et la notre qui le leur rend bien.
A part cela tout va bien, la 3eme journée de repos qui m’est octroyée me ramène encore une fois à mon ancien diamètre. Je viens de reculer les boutons d’une ceinture de flanelle neuve que j’ai volée à des territoriaux et elle me serre encore.
J’avais gardé une barbe pendant quelque temps et il y avait pas mal de poils gris, c’est pourquoi l’un de nous me dit que j’avais l’air d’un territorial. Comme ces salauds là venaient encore de reculer, ça m’a dégouté et j’ai enlevé mes poils gris, cela a mis mon double menton à découvert.
Et toi là bas où en êtes vous ?
Ici comme chaque fois qu’on attaque d’ailleurs, nous avons beaucoup de blessés et pas mal de tués. Cela est déplorable de le devoir à des français.
T’ai-je dit qu’en Picardie, j’avais fait faire demi-tour à un bataillon de territoriaux qui foutaient le camp. Rien qu’avec ma garde du Drapeau et les sapeurs du régiment auxquels j’avais fait mettre baïonnette au canon !
Les officiers incapables disent qu’ils ne peuvent rien faire de cette chair à canon ! les territoriaux disent qu’ils ne sont pas commandés. Alors ? Alors ? Notre colonel a résolu la question, il a fait intercaler des territoriaux dans les rangs du régiment, avec ordre d’enfiler ceux qui renâclaient. Pas un ne bronche, mais les cochons se rattrapent à la visite. Je ne sais comment ils s’affublent, mais à 32 ans ils paraissent des vieillards. Ce sont des gars qui étaient le long des routes, mendient et pillent, c’est la honte de l’armée.
Ce que c’est extraordinaire la guerre : à droite tristesse et gaieté à gauche, lâcheté et héroïsme !! et je n’exagère pas en défilant pendant 500 mètres sur un champ de bataille, on peut faire ces constatations. Le caractère finit par s’en ressentir et l’humeur devient également mobile . C’est peut-être pour cela que je viens d’écrire à maman une lettre qu’elle trouvera peut-être moins gaie que les autres. C’est l’effet de la pluie, du vendredi, du 13….
J’arrête mon cher gros, écris moi vite, je n’ai pas reçu de lettre de toi depuis ta carte datée du 20 octobre. Je n’ai pu revoir Joublot avec sa circulaire, n’étant plus tombé avec la division.
Je t’embrasse bien fort
Ton père affectionné
J. Druesne
Es tu toujours au château ?
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«Historique du 37e régiment d’infanterie. France. 1914-1918″
Le 13, les bataillons engagés sont renforcés du bataillon de soutien. Après une lutte très dure, le 1er bataillon, en liaison à droite avec le 26e R.I., chasse enfin l’ennemi du bois Triangulaire et s’installe aux lisières nord. Le 2e, liant son action avec celle de la 42e division à sa gauche, réussit de son côté à atteindre Steenstraate et la route de Bixschoote.
13 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
La mission de la brigade est la même que la veille ainsi que celle du Régiment. Les ordres du Colonel sont les suivants:
Le premier bataillon continuera à progresser dans la direction de Bixshoote en liaison avec le premier bataillon à gauche et le 26e à droite. Une section de canons de 12 cm est mise à disposition pour détruire les fermes situées à l’ouest du bois triangulaire et qui gène la progression du deuxième bataillon et la sienne.
Le deuxième bataillon continuant son offensive et liant son action à la 42e division à sa gauche poussera vigoureusement vers le front Stenstaase route de Bixshoote assigné la veille.
En réserve derrière le deuxième bataillon, une compagnie du 79e aux ordres du commandant Kropf derrière le premier bataillon une compagnie du 37e (9e) aux ordres du commandant Javelier. Au centre, 2 compagnies du 37e aux ordres du lieutenant-colonel. La progression s’effectuera comme il était prévu et l’objectif du régiment fut atteint sensiblement le 13 au soir. L’organisation fut commencée dans la nuit du 13 au 14.
Cartographie du 13 novembre 1914