Fonquevillers, 26 octobre 1914
Ma bonne et chère Cécile
Je reçois ce matin ta lettre du 19, elle est par conséquent arrivée hier 25 et n’a mis que six jours pour venir, tu vois que j’avais raison de te dire de ne pas t’impatienter. Franchement six jours c’est un record et quand on sait combien les communications sont difficiles, il faut s’estimer heureux.
Ici toujours même situation et compréhension intelligente de la situation, c’est-à-dire attitude patiente plutôt que manœuvres meurtrières. En effet, les boches devant nous, ont abattu devant eux plus de 30 m d’épaisseur d’arbres, les branches tournées de notre côté et bien épointées. Vois -tu nos malheureux se précipiter là-dessus, ce serait fou car derrière il y a leur artillerie et leurs mitrailleuses. Nous n’avons donc qu’à les bombarder à notre tour avec nos gros canons, qui ne nous font pas défaut, je t’assure, ni les munitions qui ont manqué un peu pendant un moment. Mais les anglais nous en fabriquent. Tout va donc bien, mais quel vacarme ! Si seulement ça cessait la nuit. Car les nôtres plus près de nous font plus de bruit que les éclatements de bûches. Dire que je dors quant même.
Est-ce l’indice d’une âme tranquille ! Hier j’ai assisté , je devrais plutôt dire présider à une cérémonie qui méritait de passer à la postérité. Notre régiment vient encore d’être renforcé, mais cette fois pas de territoriaux. Tu dois te souvenir de ce que je t’ai dit de ces malheureux. Toutefois encadrée parmi les nôtres ils feront leur devoir comme nous, mais il était nécessaire de leur frapper l’imagination. Le colonel a réussi, au son du canon, bien entendu, non loin de la grande fosse sur laquelle j’ai apposé l’épitaphe que tu sais. Le colonel a réuni ses territoriaux en armes, en carré dont un côté ouvert occupés par moi et ma garde. Il m’est impossible de répéter l’allocution du colonel, il leur a fait passer l’arme dans la main gauche et jurer en levant la main droite qu’ils défendraient le drapeaux « troué par la mitraille » ce qui est vrai chérie, jusqu’à la mort. Ça vois-tu, ça ne s’écrit pas, ça ne peut pas se raconter. Figure-toi un terrain plat sans fin, garni de moulins à vent immobiles, intacts ou consumés par l’incendie, des aéroplanes dans l’air, le mugissement des obus au-dessus de notre tête et un homme, un homme à la voix de tonnerre qui pérore au milieu d’un carré composé de types aux cheveux gris pour la plupart, tandis qu’une loque, ( car le drapeau à présent, frappé étant troué par un éclat d’obus est déchiré) tandis que vers cette loque ces hommes tendent le bras en hurlant : je le jure ! Ah ! Que c’était magnifique ! Le beau soleil qu’il faisait, je t’en parlais dans ma lettre d’hier, s’est obscurci le soir et de ma vie je n’ai entendu l’eau tomber avec une pareille force. Mais, j’avais encore la chance d’être à l’abri. Quant à nos hommes dans les tranchées peu ont été mouillés car ils se sont ingénié à faire de ces tranchées de véritables habitations couvertes. Comme les prussiens ils n’ont qu’un trou pour passer leurs fusils et viser et il faut être malin, à présent pour les attraper. Nous avons assez de 3000 perdus et de cinquante officiers au 37e ! !
Je termine chérie, ne t’inquiète pas, je te le répète tout va bien. Hier j’ai encore eu l’occasion de parler de Raymond Gauny, à la moindre affaire il sera nommé sous-lieutenant. Je t’embrasse de tout mon coeur.
J.Druesne
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26 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Même mission que la veille. Il a été constitué deux équipes de 1 sergent et 3 hommes pour apprendre le fonctionnement des mortiers de 15. Ces 2 équipes se sont rendues à Souastre pour apprendre ce fonctionnement.
Cartographie du 26 octobre 1914