Fonquevillers, toujours. 25 octobre 1914
Ma bonne Cécile, encore de bonnes journées passées. C’est dimanche aujourd’hui, il fait un soleil superbe et la température est douce, le climat est d’ailleurs moins rude ici. Ça n’empêche pas les papillons noirs de voler, je veux dire les obus et autres saloperies, mais on remarque de plus en plus de lassitude de leur part.
Hier j’ai déposé une pancarte avec une croix sur une tombe l’inscription est la suivante « ici repose 110 braves des 26e, 69e, 37e, etc…. Mort pour la patrie en défendant Fonquevillers. Octobre 1914 » mais combien reste-t-il d’autres ! !
Le colonel m’a dit que c’était très bien et une messe en plein air aura lieu à côté à la Toussaint, si nous sommes encore ici.
Mais assez de choses lugubres et parlons d’autre chose.
Le ciel bleu te dis-je et le soleil brille, comment peut-on songer à tuer par un temps pareil.
Encore…
J’ai toujours ma belle chambre et j’apprécie de plus en plus ma table, en acajou s’il vous plaît que j’ai fait poser devant la fenêtre et sur laquelle j’écris ces mots.
Et toi ma chérie comment vas-tu ? Tu te reposes, j’espère ? Ces voyages que Loulou faisait à la caserne qui est ce qui les fait à présent ? Avez-vous des difficultés avec vos bêtes ? Et Léon est-il gentil ?. Dis lui que si tu es contente de lui, je lui rapporterais une blague à tabac faite avec la peau d’un prussien, et encore je choisirais un morceau de peau où la blague sera toute faite… Brrr…
Te fais-tu belle ?
Et Eugénie, voit-elle quelquefois Camille ? Ou est-il loin Nancy ?
Et nos voisins : Familles Roche, Gauny, Blancpain, Wuillaume, Collot et Fontaine est-il remarié ? J’ai rêvé du père Chasselin cette nuit : il est vrai que je parle souvent de lui, avec mon cuisinier. Et Monsieur l’architecte. T’ais-je dit quand j’étais parti, le soir de la mobilisation, que Madame Gauny Albert m’avait tendu la main en pleurant ! Elle paraissait sincère et m’a ému. C’est à partir de là que j’ai commencé à voir que ce n’était pas de la blague leur guerre.
Ah ! Les cochons, ils viennent de me faire faire un saut ! ! Nos canons, placé à côté, viennent de riposter à ceux des Prussiens, ils ont tiré presque ensemble, bon Dieu, quelle secousse ! ! .
Et dire qu’avec leur canon, à part les neuf malheureux de la cave, et trois civils il n’y a pas d’autres victimes ici ! !
Je vais terminer ma lettre ici, mais je ne la fermerais pas, si le vaguemestre me remet un mot de toi tout à l’heure j’ajouterai.
Tu me demande dans ta lettre du 16, si je reçois bien toutes tes lettres ?Je crois t’avoir dit oui, et il me semble bien que ne se suivant pas exactement comme date, je veux dire comment réception, en les rassemblant il n’en manque pas. T’ai-je dit que Robert m’avait envoyé 2 cartes numérotées 1 et 2, dans lesquelles qu’il dit à son vieux soldat de père ce qu’il éprouve pour lui. Je te les enverrais dans ma prochaine lettre quand je les saurais par cœur…
Tu as bien fait d’aller voir Monsieur Merle, travaille-t-il notre gaillard ?
Je te répète encore que je n’ai besoin de rien. J’ai touché ici une chemise de coton laine épaisse de couleur, je tâcherais d’en avoir une autre c’est moins salissant. J’ai fait acheter un caleçon gris genre naturel, pour 3 au 4 francs, dans une maison religieuse à Amiens, qui ne prend aucun bénéfice, ces caleçons coûtent 7 et 8 francs ailleurs. Je vais faire laver le mien et faire mettre une pièce au fond, à l’endroit où tu sais, qui se salit toujours. Et pourtant j’ai 2 cuvettes ici, une grande pour la figure et une autre pour…
Allons, j’arrête. Apporte ton bec que je le dévore de caresses.
Ton vieux
J.Druesne
Dis bien comment tu te portes, si tu es bien. Je ne te fatigue pas… dis ?
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25 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Même mission que la veille. Il a été distribué pour le secteur des boucliers portatifs.