18 octobre 1914
Ma bonne Cécile
Les jours se suivent et ne se ressemblent pas : quelques instants après avoir envoyé ma lettre d’hier dans laquelle je me vantais presque de la période de farniente dans laquelle on m’obligeait à me prélasser, Je recevais l’ordre de rejoindre aux premières lignes, le régiment qui ne les a jamais quittés.
Je me mis donc en marche immédiatement et j’arrivais sans encombre avec mes hommes à Fonquevillers où je suis encore… Là, je trouverai le village dans l’état épouvantable qui commence à être la règle de sorte que tout le régiment est aux tranchées. Celles-ci sont superbes et sont de véritables habitations. Couverte, garnie de paille et de couverture, on y est très bien malgré l’ouverture réservé pour l’observation et les tireurs… Mais ton serviteur favorisé fit fi de ces avantages et c’est dans une belle chambre qui n’a plus de carreaux, il est vrai, mais où il y a un lit superbe que j’élis domicile.
Bien mieux (ah c’est honteux) je t’écris auprès d’une cheminée allumée (cheminées prussiennes) à la flamme visible. C’est du luxe, car il fait bon dehors, mais cela compense l’arrivée de l’air par les carreaux cassés.
C’est une grande belle maison en pierres, ce qui est assez rare par ici, les maisons sont en briques ou en torchis. J’y suis à l’abri contre les obus qu’il tomba fréquemment. Ce feu dans la cheminée donne un petit cachet familial à ma chambre, de sorte que j’oublie presque les coups de foudre qui m’environnent.
En arrivant ici je savais y trouver le général De Lobit qui remplit toujours les fonctions de général de brigade, la 70e de Toul, mais une joie m’était réservée, de la brigade de Toul, le colonel, qui étend ses étoiles, a été nommé à la 22e brigade celle qui est formée du 37e et du 79e. Aussi quand il eut le 37e auprès de lui, il nous réunit à sa popote et, depuis hier soir, nous mangeons ensemble. Je t’envoie le menu de ce matin. Il va sans dire que tout ce qui est posté viandes froides sur vinaigrettes est du singe, mais le tout arrosé de bonne humeur.
Au déjeuner ce matin j’ai pu faire un heureux : Raymond est rentré à sa compagnie et il a constaté que ses camarades étaient montées en grade,, il m’a confié son ennui ; comme il me causait son commandant passa et j’ai su attirer son attention sur Raymond auquel il promit, en raison de sa conduite, de s’occuper de lui. Tenant compte de cette promesse, j’allais aussitôt trouver le colonel de Lobit pour lui parler après quelques détours de la chose. Le colonel me quitta un moment, puis je vis arriver le nouveau colonel qui, sans autre enquête, me dit d’aller faire ajouter Raymond sur l’ordre du régiment comme sergent. Je cherche aussitôt Raymond pour lui annoncer la nouvelle, tu parles de sa joie, ça n’avait pas duré vingt minutes ! Tu seras probablement la première à l’annoncer au père, car, Raymond écrira sans doute que quand il aura ses galons.
Je reçois à l’instant tes lettres des 2 et 3 octobre. J’avais reçu hier celle du 5, je voudrais recevoir celle par laquelle tu m’annonceras la réception de mon bon du trésor.
Malheureusement, le vaguemestre va partir, de sorte que je suis obligé de cesser.
Embrasse tout le monde, mais pas aussi fort que t’embrasse ton tout à toi
Jules Druesne
À demain…
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18 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Même stationnement, même mission que la veille.