K comme Kyrielle de mots

 

K une lettre bien difficile (il n’y a que 2 pages et demie de mots commençant par K dans mon dictionnaire de poche!)

J’ai bien quelques Kemer, Kessler, Korn ou Kussler et quelques autres mais pas encore assez étudiés pour vous en parler.

Alors , j’ai pensé à Auguste Silice, le neveu de Léopold… Quel rapport avec le K me direz-vous, d’abord parce qu’il a écrit une kyrielle de lettres et donc de mots, qu’il a aussi parcouru une kyrielle de kilomètres pour se rendre au pays des Khmers ou il a sans doute mangé des kumquats ou des kakis. Mais j’arrêterai là ma liste de mots en K vous parler d’Auguste. J’avais fait sa biographie, il y a quelques temps sur ce blog, je précisais en fin de texte que j’avais la chance d’avoir récupéré une grande partie de sa correspondance avec sa famille. Je vous propose donc de le retrouver au début de son premier voyage début 1914 vers l’Indochine. Il vient de remporter un concours et la bourse qui accompagne cette épreuve  pour orner le livre de Boissière, “Les génies de Mont Tan-Vien”.  Auguste part alors pour un an au Tonkin où il rejoint sa mère divorcée de son père et remariée à un fonctionnaire colonial, résidant dans ce protectorat.  Il écrit à son oncle Léopold.

« lettre à l’en-tête des MESSAGERIES MARITIMES-
Paquebot Louksor le 11 juin (1914)

Mon cher Oncle

Je fais un voyage splendide. J’ai vu Messine en passant Port-Saïd, une ville laide mais peuplée par toutes les 5 parties du monde. Tout cela grouille et vend de tout. Le monde entier y passe et fait du commerce, c’est tout ce qu’il y a de plus curieux et puis à onze heures du soir par un clair de lune magnifique, nous sommes entrés dans le canal de Suez éclairé par des projecteurs qui font de grands rayons de lumière. La nuit était lumineuse et bleu-vert, tous les lacs étaient éclairés par la lune, c’était splendide. Je suis resté jusqu’à une heure du matin à l’avant, on n’entendait aucun bruit, le bateau glisse lentement et en silence sur l’eau seulement de temps en temps un commandement bref sur la passerelle – ou au loin le cri d’un chacal. C’est la plus belle chose que j’ai encore vue.

Nous avons passé Ismaïlia de jour alors j’ai vu le désert, des sables roses et jaunes , au fond des montagnes violettes et des lacs salés d’un bleu outremer pur. De temps en temps une caravane de chameaux passe dans le soleil et la poussière.On se demande comment ils peuvent résister. L’air est de feu et tout le monde à bord a sorti son casque.

Puis on est arrivé à Port Tiveffrik(?) et Suez vers 6 heures du soir. le lendemain nous quittions définitivement la terre de vue pour entrer dans la mer Rouge où nous sommes depuis trois jours à naviguer dans une chaleur de four 39 sur le pont et c’est là qu’il fait le plus frais dans la journée. La nuit on dort sur le pont dans sa chaise longue. le vent est chaud mais il vous sèche et c’est deéjà quelque chose que de ne pas transpirer. Je t’écris de la salle à manger où j’ai mis 2 ventilateurs électriques en marche et j’ai devant moi un grand verre de citronnade qui tient presque un litre et où il y a un iceberg.

Demain soir nous serons à Djibouti et ce sera le coup dur car on s’y arrête deux jours pour débarquer le matériel du chemin de fer , après cela nous allons à Berbera sur la côte du Somaliland pour embarquer 150 soldats anglais que nous devons poser à Colombo et ce sera la fin de nos souffrances car dans l’océan Indien il fera plus frais. Il est même possible que nous ayons de la tempête. Je ne me plains pas , au contraire je m’amuse beaucoup. Je ne crains pas le soleil avec mon casque et mes lorgnons verts je traîne partout dans le bateau comme je suis le seul passager de première classe, je mange de temps en temps avec le carré quand le commandant m’invite. Voilà la belle vie que je mène. Je vous embrasse tous bien fort et bien des fois

Bien à toi A. Silice »

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Réformé pour des raisons de santé, Auguste s’engage malgré tout au début de la guerre dans le 21e bataillon colonial.

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Lettre à l’en-tête du CERCLE DE HUE

Hué le 24 novembre 1914

Mon cher Oncle
J’ai reçu ta lettre hier et tu ne peux pas te faire idée de la joie qu’elle m’a causée. Je vivais dans les transes ayant su par les télégrammes le bombardement de Nancy. Nous avons reçu les journaux mais ils ne nous apprennent pas grand chose vu que nous avons ici beaucoup plus de nouvelles que les journaux français n’en publient. Nous recevons tous les télégrammes russes par le japon et les télégrammes anglais par l’Inde et Hong-Kong et nous n’avons les nouvelles qu’avec un jour de retard. Et elles sont bien plus copieuses que dans les journaux français. Le décret qui interdisait aux Européens de rentrer en France vient d’être rapporté aussi je vais rentrer le mois prochain pour prendre part aux hostilités, et je t’avoue que je n’en suis pas autrement fâché.

Je vais monter à Hanoï dans trois jours et de là je pense m’embarquer pour la France par le courrier anglais. Au commencement de la guerre il était interdit à tout européen de rentrer à moins de raison de santé, car les chinois nous ont fait ou ont essayé de faire tous les embêtements possibles. Les Annamites se sont tenus tranquilles, on a profité du mouvement pour crocher (?) quelques agitateurs à qui on a coupé le cou par la même occasion.

A Tourane nous étions mobilisés et sur nos gardes, car à 8 kilomètres se trouve la ville entièrement chinoise de Fai-Foo et il y a 20 mille chinois qui nous détestent. Nous avions à leur opposer une compagnie d’infanterie coloniale une batterie d’artillerie de montagne et 150 européens colons et fonctionnaires. Heureusement que mon beau-père a de la poigne, il a fait arrêter les chefs des congrégations chinoises et les mandarins et leur a dit que leur tête répondait des agitations qui pourrait se produire. Néanmoins il y a eu 2 douaniers pris au Quảng Ngãi, on les a attachés au soleil pendant une journée. L’un est mort, l’autre fou, un autre a pu se sauver à Tam-Ky blessé au bras d’un coup de lance.

Le chef de poste de Son-La a disparu. On n’ose pas penser à ce qui a pu lui arriver et on souhaite qu’il ait été tué d’un seul coup. C’est tout ce qu’on peut dire et ce serait heureux. Je suis allé à Tem-Ky en auto avec mon fusil de chasse et des balles et de chevrotines plein mes poches. Il eut été rafraîchissant d’en expédier quelques uns ad patres. Mais il y avait des ordres, mais maintenant tout est tranquille ou à peu près et on peut de nouveau circuler dans les provinces. Cela ne m’a pas empêché d’aller peindre et excursionner mais j’avais mon fusil et 2 lerihs (?) armés avec moi. Ces expéditions picturales avaient un coté guerrier qui ne me déplaisait pas. Si tu voyais ce pays-ci, je crois que tu serais comme moi transporté d’ enthousiasme.

Il n’y a pas de mots pour dire ce que c’est le ciel d’ici. La couleur , les gens, les palais, c’est inouï. Les promenades en sampan au clair de lune sur la rivière des parfums, avec les jonques qui descendent et le chant des sampanières. Les pagodes et les tombeaux des empereurs. Chaque tombeau est un endroit un peu plus grand que le plateau de Malzèville.

Voici la recette pour faire un tombeau impeérial, on choisit une plaine et de main d’homme on fait des collines qui ont presque 200 mètres de haut, plantées d’arbres, on fait des étangs, des bassins entourés de mosaïques et d’émaux, là dedans on bâtît 3 ou 4 palais d’hiver et d’été pour l’âme de l’empereur, quelques pagodes des jardins. Et on va enterrer l’Empereur très loin de là dans un endroit perdu de la montagne et encore de façon à ce que sa dépouille ne soit pas déterrée. Le tout est magnifique.

Je vous embrasse tous et suis heureux de vous savoir en bonne santé.

A.Silice

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La suite prochainement…

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