Théo, Zoé, Léo et les autres…

18 novembre 1914

18 novembre

Nous avons quitté, oh, pas pour aller loin, à 5 ou 6 km, ce que j’appelle le trou de la mort et ou certes, j’ai éprouvé jusqu’à ce jour, les plus mortelles angoisses. Nous avons voyagé la nuit et au risque de t’attrister, je vais te raconter ce qui m’est arrivé : c’était la nuit j’étais un peu isolé du régiment donc j’avais été occupé par les convois, troupes et automobiles etc.… je t’ai dit que les routes étaient très mauvaises, le milieu est passé mais à droite et à gauche on a de la boue jusqu’aux genoux puisque les voitures en ont jusqu’au moyeu. À la suite d’un nouvel encombrement causé par une panne d’automobile, la route était obstruée à tel point que nous ne pouvions passer qu’un à la fois entre les voitures. Il faisait noir comme dans un four et  il faisait froid. Tout à coup, j’entends crier attention au trou, en ce moment je glisse en effet dans un trou, mais rempli de boue liquide. C’était un trou creusé sur la route mais rempli de boue liquide, l’aumônier, d’autres officiers et un grand nombre de soldats y avait fait le même plongeon que moi.  Ayant étendu mes deux bras en avant j’ai eu de la boue jusqu’aux épaules. Ma culotte, ma capote etc… étaient couverts de crotte et j’ai dû faire 2 km dans cette situation.  A l’entrée du village,  où nous entrions, je trouvais un hôpital où je reçu le meilleur accueil, on me fit chauffer de l’eau, mais je crus avoir une faiblesse en y plongeant mes mains glacées, j’avais l’onglet. Un peu dégraissé, je me rendis à notre popote déjà choisie puisque je m’étais laissé dépasser. Là je bénis ma prévoyance, en effet, outre ma cantine qui est au fourgon et que nous ne voyons pas souvent, j’ai la valise dont je t’ai déjà parlé. Dans cette valise j’ai une culotte et des linges de rechange. Vite, mon ordonnance me déshabilla auprès d’un bon feu, m’enfila des chaussettes et mes pantoufles et 10 minutes après, béat, satisfait, heureux même de mon bien-être, je m’installais à table devant un potage fameux aux haricots, que Chasselin avait dû emballer inachevé sur la voiture de la popote au village voisin.

Et ineffable satisfaction, dans la maison même où tout cela se passait, Clément nous découvrait un lit où nous couchâmes tous les deux, tandis que les autres officiers, sauf le colonel allaient coucher à l’ambulance sur des brancards.

Mais ce matin, quel doux réveil. Un soleil radieux, une gelée un peu forte a durcit la boue !

Et comble de joie, deux lettres de toi ma chérie, l’une du 30 octobre et l’autre du 1er novembre en contenant une autre de Loulou.

Quelle joie et surtout quelle émotion, la vue seule de ton écriture sur l’enveloppe me fit pleurer comme un enfant et je m’enfuyais pour ne pas faire voir cette faiblesse aux vaguemestres près desquels je rodais depuis qu’ils dépouillaient les sacs de correspondance.

Je relirai ces lettres et te ferai part de ce qu’elles me suggèrent. Par le même courrier j’ai reçu une carte de Millet, de Grenoble, la 3ème m’assure t-il et une lettre de Gabriel, qui m’annonce un sac de couchage imperméable et tenant chaud. Les bonnes précautions!! Ce n’est pas le sac  en question qui m’aurait réchauffé cette nuit quand j’étais imbibé de boue!! Ce dont je ris et j’ai ri avec les autres ce matin à table.

Merci du cache montagne que tu m’annonces, c’est à la mode ici, mais ça me dégoute car ça n’a pas l’air militaire pour un sou. Néanmoins, si j’ai à coucher dehors ou à voyager la nuit , en souvenir de toi, je le mettrai. Clément est enchanté de celui que tu lui annonces, mais lui, c’est un militaire d’opérette… On lui a envoyé un chauffe main électrique!! De ma chute, j’ai perdu comme inutilisables, mes vieux gants de peau, mais tout à l’heure, j’ai trouvé des gants de laine bien chauds, j’ai gagné au change.

Merci à Loulou de sa lettre, mais c’est un petit curieux, il ne doit pas lire mes lettres le premier (ceci à propos de la blague à tabac de Léon)

Dit à Eugénie  de ne pas perdre espoir, où en est-elle avec son assurance?

Si l’humidité continue à la maison, tends des cordes dans une chambre, étends les effets et fais du feu.

J’écris souvent à Robert, est-il toujours à Marronville?

Oui Chérie, les 15000 allemands dont parle le journal ne sont pas une chimère et il y en a eu bien d’autres depuis, mais il en revient toujours autant autant…

Il me reste encore une culotte là-bas bien réparée elle pourrait encore faire l’affaire pour Robert ici j’en ai deux et bien a pris comme tu viens de le voir.

Je termine ma chérie en t’embrassant bien fort. Embrasse aussi  Eugénie, dis merci à Loulou de sa bonne lettre et dis-lui que je compte, puisqu’il n’a pas beaucoup de travail, que ses devoirs soient bien faits et ses leçons bien sues. J’écrirai à Mr Merle à ce sujet si j’apprenais qu’il ne tient pas ses promesses.

Allons, au revoir, je crois que le régiment va avoir quelques jours de repos pour faire reparaître la couleur primitive des vêtements. Un tiers des hommes portent des pantalons de civils.

Je t’embrasse encore.

Ton J.Druesne

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18 novembre 1914 (JMO du 37e)

sans changement

Cartographie du 18 novembre 1914

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