22 octobre 1914
Ma bonne Cécile
J’ai été occupé hier et je n’ai pas pu trouver le temps de t’écrire, je viens d’être nommé commissaire du gouvernement rapporteur près le conseil de guerre et j’ai à faire la procédure d’une affaire de vol chez l’habitant,, commis par un réserviste, père de famille. Je te donnerais le résultat de cette affaire. Ça ne me plaît guère de faire l’avocat bêcheur, mais la guerre vous met parfois dans de bizarre situation.
Dans la nuit hier, il m’est arrivé une aventure sous l’impression de laquelle je suis encore. Je t’ai décris la chambre dans laquelle je suis ici (qu’ai-je dit que le patelin s’appelle Fonquevillers ?) et combien je m’y plaisais… Le colonel n’a-t-il pas eu l’idée de nous transporter plus loin. Il est vrai que la nouvelle chambre qui me fut donnée placée auprès de celles du colonel est superbe (lit de milieu, armoire à glace, cabinet de toilette… etc….) mais enfin je ne voyais pas mon déménagement d’un bon œil. D’autant plus que le village est toujours bombardé et que la maison que nous quittions était en pierres tandis que la nouvelle est en briques.
Bref le déménagement a lieu en profitant du ralentissement de la canonnade et nous nous installons. Mon lit était tellement engageant, je me suis déshabillé. Mais vers minuit les Allemands vexés sans doute des attaques de la journée se mirent à faire rage. J’entendais bien le colonel aller et venir dans sa chambre, les hommes de garde creuser dans la cour… etc…. Et surtout les explosions dans les environs, mais ça me connaît maintenant et je me prélassais de plus belle. Tout à coup une détonation formidable retentit et j’entendis comme une dégringolade dans les escaliers, puis plus aucun bruit de parole, ni de pas.
J’attendis un quart d’heure environ et puis l’idée me vint que tout le monde était fichu le camp sans moi. Malgré la défense, j’allumais ma bougie et m’habillais à la hâte et descendis donc la mort dans l’âme avec mon drapeau et ma bougie. Cela dura quelques minutes quand j’entendis des voix dans la cave. Tu devines ma joie. Le colonel qui était là avec les officiers et les hommes du poste en me voyant me 10 : « vous n’avez rien » « comment ? » dis-je « Mais ne savez-vous pas qu’un obus vient de tomber sur la maison dans la chambre voisine de la mienne ? ». Comme la mienne était voisine de la sienne (du colonel) je lui dis : « ce n’est pas dans la mienne, en tout cas » là-dessus il se mit à rire et me dit, “vous avez un sommeil ! » « non » lui dis-je « j’ai bien entendu la détonation, mais j’ai bien eu plus peur d’être abandonné que de ce bruit. » On convient que je n’étais pas facile à émotionner, puis je leur dis que puisque je n’étais pas seul j’allais me recoucher. Avant, j’allai voir la chambre en question, est, en effet je l’avais échappé belle. Voici le plan de la maison :
L’ordonnance, un froussard, était heureusement filé au premier coup canon.
La chambre était encore remplie de fumée, de plâtre, tout était retourné. Si l’ordonnance était restée, il aurait été asphyxié sinon tué. De plus les éclats de l’obus et les ballons avaient traversé le mur et la porte ait été venu mourir sur la porte et le mur de la Chambre du colonel, mais ma chambre et mon cabinet de toilette n’avaient rien, tout au plus une légère couche de poussière sur les meubles et mes effets.
Comme je te le dis-je me recouchais et dormit comme un bien heureux jusqu’à 7 heures, le canon m’ayant fichu la paix. Le colonel lui fit descendre ses matelas à la salle à manger. Dans la journée, il revint à la maison où j’avais ma première chambre et je restais dans la maison (c’est une brasserie) bombardée. La dernière nuit a été tranquille, je n’ai fait qu’un somme de 8 heures et demie du soir à ce matin 8 heures on m’a apporté le café au lit au lit, entends -tu bien. Quand tout le reste du régiment couche dans les tranchées autour du village ! J’en suis honteux !
Malgré son horreur, je n’hésite pas te faire ce récit. Il te prouve ma veine et aussi, qu’on n’est pas un froussard. Quand je songe qu’un obus tombant à 1 km de là fait fiche le camp à des bataillons de territoriaux…
À part cela tout va bien. Ils se préparent, je crois une forte affaire ici, car de la grosse artillerie arrive, mais il n’y aura guère que l’artillerie qui donnera.
Je t’embrasse, 1000 et 1000 fois et surtout ne t’émeut pas de mon récit, il te prouve encore une fois ma chance et tu l’auras remarquée, la prudence, tu auras remarqué en effet, que ma chambre était située du côté opposé à l’ennemi, et qu’un obus, par conséquent aurait eu trois murs à traverser avant de m’atteindre. C. Q. F. D.
Ton J. Druesne
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22 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Même mission que la veille, continuation des travaux d’approche vers Gommecourt. L’eau commence à manquer dans les cantonnements. Un convoi d’eau de 12000 litres est envoyé de l’arrière. Le ravitaillement en eau doit être assuré tous les jours par le service de l’Intendance.