20 octobre 1914
Ma bonne Cécile,
Encore un souci de moins. Je reçois en effet ta lettre recommandée datée du 8 courant par laquelle tu m’annonces que tu as reçu le mandat que je t’avais envoyé le 3. Tu vois que cet envoi n’a mis que cinq jours à te parvenir. Je suis bien content.
Rassure-toi, j’ai plus qu’il ne me faut, en ce moment, avec le chandail que tu m’as envoyé, j’en ai un autre très léger et très chaud, puis un tricot en laine avec revers. C’est mon veston d’intérieur. J’ai pu ces jours derniers faire laver des chaussettes de laine, de sorte que je suis à la tête de trois bonnes paires en ce moment (à la tête est une façon de parler). Quand on a distribué ces tricots, on donnait aussi des caleçons en gros coton, mais ils étaient tellement grossiers que je n’en ai pas pris, j’ai eu tort ; je prierais Naegelé de m’en trouver un dans une ville voisine. En ce qui concerne la nourriture, je t’ai envoyé un menu qui a dû te fixer. Enfin, au point de vue physique tout va parfaitement. Tu peux donc être tranquille sous tous les rapports. L’éloignement, notre séparation sont donc les seules causes de notre souci. Hélas, sous ce rapport nous devons continuer bravement à prendre patience et songez qu’il y en a de moins favorisé que nous.
Très bien ta lettre à Madame de Castelnau. Je t’approuve entièrement et te félicite même de sa forme. Elle est parfaite. Je te renvoie la copie que tu me demandes.
L’attitude du bonhomme qui est chez Monsieur Gauny ne m’étonne pas. C’est bien le type des antipatriotes que je ne connais hélas que trop. C’est certainement de ces canailles que j’emporterais le plus cruel souvenir de la campagne.
Tout marche si bien, l’intendance, les ordres, le ravitaillement… etc…. On ne va pas vite en ce moment et on a raison, car il vaut mieux prendre patience que de sacrifier tant d’existences. On ne se rend peut-être pas assez compte du danger qu’offre une marche contre un ennemi caché dans des tranchées, abrité par des mitrailleuses, on ne peut apercevoir le canon gros comme une pièce de 10 sous et qui crache plus de 100 coups à la seconde. .
Il est vrai qu’il en est de même chez nous, à présent, et ils ne viennent plus s’y frotter non plus car il leur en cuit quand ils veulent singer notre méthode du début : c’est-à-dire marcher à découvert.
Mais Chérie me voilà encore à te parler métier militaire, c’est que vois-tu, après tout c’est mon autre occupation, bien que mon modeste emploi, ne me permettent pas de m’y consacrer comme je le désirais intérieurement :
Il me semble toujours que si tous partageaient mon ardeur, il n’y en aura pas pour longtemps.
Moi non plus, je n’arrive pas à découvrir Monsieur Gauny et je le regrette, car je pense souvent à lui et serais bien heureux de le rencontrer.
Après avoir envoyé ma lettre annonçant la nomination de Raymond, je l’ai rencontré, il était déjà galonné. Il était baba de la rapidité avec laquelle tout cela s’était passé.
Allons, je cesse, je t’embrasse 1000 fois. Embrasse aussi Loulou, Eugénie et dis-moi comment va Maréville.
Ton tout à toi
J.Druesne
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20 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Même stationnement, même mission que la veille. Le lieutenant Labriet est évacué. Relève dans la nuit du 19 au 20 d’un bataillon du 69e qui se trouve devant Gommécourt par un bataillon du 79e.