Au pays annexé, frontière du côté d’Arracourt 15 août
Ma chère Cécile
Par où commencer cette lettre ? Que je te dise d’abord que je suis sain et sauf. Cependant mon baptême du feu fut plutôt … embêtant.
Nous avons en effet, assisté à un combat d’artillerie. Figure-toi le feu d’artifice du 14 juillet avec beaucoup de ces gerbes qui éclatent en l’air et retombent en gerbes de couleur. Ici c’est la même chose avec cette différence que les gerbes ont beaucoup moins de grâce et de couleurs.
Elles sont uniformément noires et ça sent comme dans les wagons prussiens quand on est près des WC. Nous avons donc eu ce feu d’artifice depuis 2 heures de l’après-midi jusqu’à 8 heures du soir. Et tout cela pour obtenir quelques tués et blessés. Car ce n’est pas dangereux du tout. D’abord le terrain occupé par nous est immense et les tireurs ne nous voient pas, ils ne tirent donc qu’au jugé et si par hasard, un obus éclate au-dessus de nous, on se baisse, car l’obus a le soin de prévenir de son arrivée, par un sifflement significatif. A ce signal, tout le monde se couche ou plutôt s’accroupit, les sacs formant presque un dôme. Or j’ai un sac et je m’aligne avec les camarades. Malheureusement, c’est un exercice fatiguant quand ça dure trop longtemps, aussi à la fin, on attendait l’air du sifflet avant de se baisser. Or quand on est baissé, dans les premiers moments, c’est presque de …. (espace vide), mais tantôt une incongruité, lancer une blague fait dégénérer cette extase en rigolade.
Ah ! Le soldat français est bizarre, aussi prompt à l’emballement qu’au contraire.
Hier, car je t’écris après le réveil alors que le soleil va se lever tout rouge, nous avons couché sur nos positions car malgré l’avalanche qui nous empêchait d’avance, nous n’avons cependant pas reculé d’un pouce. Bien entendu pas de vivres, au loin le noir et les villages abandonnés. Eh ! bien j’entendais grogner, mais grogner à ce bon garçon, car ce matin le soleil a réjoui le tout et nous attendons le commencement de la séance. C’est donc vrai, je crois que nous avons la guerre !
Le passage de la frontière qui a eu lieu une heure avant le branle bas dont je viens de te parler et qui a cessé. J’oubliais de te dire que sur les attaques de notre artillerie, c’était émouvant. Sans ordres, au milieu des champs, j’ai déployé le drapeau et les compagnies, en formation de combat présentaient les armes et criaient « vive la France ! » Ça ne peut pas se résumer.
Mais j’ai eu bien peur de la repasser la frontière avant de savoir que les artilleurs allemands étaient si inoffensifs.
Le 14 août sera gravé dans ma mémoire. Malgré le souci que me créait notre situation, ton souvenir et celui de Robert et de Loulou ne me quittaient pas. Que je serai heureux de la réussite complète de cette guerre et de vous presser dans mes bras ! As-tu trouvé les photos ?…
Je t’embrasse bien fort ma chérie et Loulou aussi. Fais en autant à Robert si tu peux le voir. Bien tendrement à toi.
J.Druesne
Bonjour, aux familles Roche, Gauny etc…
Mes respects à monsieur le Directeur si tu en as l’occasion. Est-il gentil pour vous ? (Dans le civil Jules était secrétaire du Directeur de l’Asile de Maréville).
Voici mon adresse : Jules Druesne Lt Porte drapeau du 37e actif – Troyes (Aube)
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15 août 1914 (JMO du 37e RI)
Le Régiment reste sur ses emplacements. Vers 7h les tirs de l’artillerie ennemie reprend et se continue toute la journée. Le 2e Bataillon reste à la côte 265 pendant que le 3e se porte à l’O. de Mechicourtla 9e à la disposition du Gal de Division avec le Colonel. Le 1er bataillon avait été dirigé de la ferme Nouville sur le chemin Rechicourt Bures (1km S de Rechicourt pour relier la division aux troupes qui opéraient à sa droite 15e corps . Les bataillons passent la nuit du 15 au 16 au bivouac sur leurs emplacements.