Les lettres d’Auguste Silice – juillet 1919

Source

Je poursuis la transcription des lettres d’Auguste qui font vivre sa vie au Cambodge à partir de 1919. Lettre à Léopold Silice son oncle.

Lettre à en-tête du Royaume du Cambodge – ministère des Beaux-Arts-

Le Directeur de l’École des Arts Cambodgiens à M…

Phnom-Penh le 25 juillet 1919

Mon cher oncle,

Je reçois ta lettre du 12 juin qui m’apprend la mort de mon père et j’ai un grand chagrin.
Il y a bien longtemps que pour mon compte tout était oublié et j’aurais bien voulu le revoir. Si j’avais su où il était pendant la guerre je lui aurait écrit car j’avais pour moi la peur d’être tué sans lui avoir envoyé un mot de réconciliation et puis c’est lui qui part le premier sans savoir tout ce que j’avais gardé pour lui dans mon cœur et de penser qu’il a pu croire à sa dernière heure que je l’avais oublié c’est pour moi plus triste que tout. …

…Donne-moi de tes nouvelles et écris moi au moins une fois par mois, toi ou ma tante ou mes cousines. Elles recevront une pièce de mouchoirs, il faudra les couper car ils sont en pièces, ils sont petits, je n’ai pas pu en trouver de plus larges mais ils seront je pense assez grands. C’est en soie qui se lave naturellement. J’espère que cela leur fera plaisir. Dis à ma tante combien je lui suis reconnaissante du petit mot qu’elle met toujours dans tes lettres. Je lui écrirai aussi mais en attendant je la remercie beaucoup de son amitié.

As tu jamais reçu ma lettre du front ou je t’annonçais mon mariage, tu ne m’en a jamais parlé et je suppose qu’elle ne t’est jamais parvenue. En tous cas nous viendrons te voir, j’espère à mon prochain congé. Il y a déjà trois ans et tu es grand-oncle d’un garçon qui aura bientôt deux ans et de cela j’aurais voulu que mon père soit aussi informé.

Je poursuis ma lettre un peu à bâtons rompus car je suis souvent dérangé. Je ne me plains pas car le travail est toujours intéressant et pas trop pénible. il le faut car ici tout est fatiguant à cause de la chaleur et la moindre chose vous abat. Je suis en train de mettre sur pied un chantier de sculpteur sur marbre et ce depuis le commencement de l’entreprise car il faut commencer par faire une route pour aller à la montagne et ouvrir une carrière, après quoi il faudra instruire des tourneurs et des sculpteurs mais cette partie ira vite car ici tout le monde sait sculpter le bois et cela n’est pas plus difficile pour le marbre. A la fin de cette année ce sera sur pied et entre temps je vais faire faire les modèles par les dessinateurs et les modeleurs.

L’année prochaine nous allons mettre sur pied une publication sur le Cambodge qui comprendra tout ce qui a été fait, écrit, photographies, et une description complète de tous les monuments du pays. Les pagodes, les objets d’art ancien et modernes, enfin l’ethnographie, les cérémonies religieuses, danses sacrées etc.. Ce sera un gros travail car pour le moment nous sommes deux mais il y a des gens que cela intéressera et je pense que nous réussirons. C’est très intéressant et cela distrait des tristesses que la vie apporte.

Entre temps, je peins le soir à 5 heures, il y a des études admirables à faire sur le Mékong et j’en ai quelques-unes d’assez jolies. Je ferai une exposition à Paris et si cela était possible, j’en ferais une à Nancy également, si tu avais des aquarelles on pourrait en faire une à nous deux? Creuse cela, il faudrait trouver une salle pas trop grande, pas trop chère à louer pour un mois ou 15 jours. Je pourrais peut-être avoir une subvention de la colonie car cela fait connaître le pays au point de vue du tourisme et on pourrait organiser cela dans un an par exemple le temps de faire des études et de les envoyer. Dis-moi ce que tu en penses.

A bientôt de vos nouvelles, portez vous bien tous et croyez en ma sincère affection. Je t’embrasse bien affectueusement ainsi que tout le monde.
A.Silice

Laisser un commentaire

%d