Le petit carnet de Léopold

Je tourne et retourne ce carnet pour tenter de comprendre. A quoi riment ces chiffres et ces petits carrés dessinés? Des codes? un langage? Il s’agit d’un carnet rempli par Léopold Silice dont j’ai déjà présenté les talents d’aquarelliste, de photographe, de marionnettiste.

Que j’aurais aimé lui poser des questions pour qu’il m’explique ses techniques de travail!

En weekend en dans ma Lorraine natale, je décide d’aller me promener à Malzéville près de la maison de Léopold au 55 rue de la République, peut-être serai-je inspirée. La maison a changé, une extension, un garage empiétant sur ce qui fut une terrasse cachée de la rue par un mur.

Je ferme les yeux en imaginant Léopold et sa famille. Lorsque je les rouvre la maison est telle qu’elle fut au début du XXe siècle, un couple passe dans la rue, elle porte une robe longue visiblement des années 1910!

Je tire la poignée de la petite cloche qui pend près de la porte, en espérant reconnaitre la personne qui ouvrira…

Germaine, Anne-Marie et Jean en 1909
Marthe Gaiffe

C’est Marthe qui ouvre avec un bébé d’environ 1 an dans les bras et deux fillettes curieuses de 7 et 9 ans qui se cachent derrière ses jupes. Nous sommes donc bien en 1910.

Elle s’étonne de mon allure en jean et cheveux courts et m’interroge. Elle remarque bien un « air de famille » mais a bien du mal à me situer même lorsque je lui explique que je serai (suis) une petite-fille de sa fille aînée Germaine..  Je lui annonce rapidement qu’elle aura 8 petits-enfants et  20 arrières-petits-enfants et demande si Léopold est là. « Oui!  il est dans son antre » me dit-elle. Je devine tout de suite ou me diriger.

« La pièce en face de l’escalier au 2eme étage? » Elle acquiesce, étonnée. Cette maison, j’y ai passé beaucoup de temps lorsque, enfant, j’allais voir mes grand-parents. J’adorais fouiller dans cette pièce qui était devenue une sorte de débarras, remplie de livres, d’objets et de meubles à tiroirs. La porte de ce bureau était vitrée et Léopold en avait peint les carreaux à la façon d’un vitrail. Marthe m’invite à aller le voir.

Je monte les marches, assaillie par mes souvenirs d’enfance. Devant la porte, pas un bruit… Je frappe timidement.

« Oui? » sa voix est posée, j’ouvre la porte. Il est installé à un bureau sur lequel se côtoient papiers, crayons, boîte d’aquarelle. Il est lui aussi étonné de mon allure garçonne, alors je lui explique que je vis en « vrai » plus de 100 ans plus tard, que j’ai découvert, à la mort de mes grands-parents, toute son œuvre qui m’a fascinée. Je lui explique que s’il n’a pas pu faire les études d’art dont il rêvait, moi, j’ai pu suivre les cours de l’école des Beaux-Arts de Nancy et que j’avais parmi mes professeurs le petit-fils de son ami Victor Prouvé. 

Il m’écoute étonné, j’ajoute que pendant mes études, j’ai réalisé deux expositions sur son travail, l’une sur ses photos et l’autre sur l’ensemble de son œuvre. Je le sens ému. Je lui parle de ce que je sais ou de ce que j’ai compris de son travail et lui pose ma question sur le petit carnet que je sors de mon sac.

– « Ah ce carnet, c’est ma méthode pour trouver des idées de dessins de carrelage ou de papiers peints, je me suis inspiré de la Méthode de composition ornementale de Grasset« .

-« Je connais! j’ai hérité de ce livre! »

Il sourit…

-« Je t’explique mon petit. Je liste d’abord toutes les combinaisons de chiffres de 1111 à 4444″

je fronce les sourcils..

– » Regarde au coin de la page, tu as 4 cases avec dans la première un motif, je le numérote 1, puis je « tourne » ce motif d’un quart de tour cette case est numérotée 2 , encore un quart de tour 3 et enfin un dernier quart de tour 4″

Je commence à comprendre!

-« Ensuite j’associe mes chiffres à mes dessins numérotés. Tu vois? »

Je lui souris fascinée par sa patience

-« Tu vois sur cette page (cf ci-dessus) toutes ces petites compositions, si l’une d’entre-elles me plait, je la retravaille. Mais les dessins de cette page sont très simples, j’ai procédé de la même façon pour des motifs plus travaillés, regarde! » il me tend une page. Quel travail! je suis en admiration.

 

-« tu comprends, je suis bientôt à la retraite et les enfants sont encore petits. Je vends parfois mes dessins à des entreprises de carrelage ou de papiers peints. Cela permettra à mes enfants de faire des études! »

-« Parfois aussi, je dessine à partir d’une feuille morte par exemple, je la duplique la transforme en frise, en motif.. »

Il me montre ce qu’il fait, il semble heureux d’expliquer ses passions. Il me parlerais pendant des heures et je serais heureuse de l’écouter plus longuement, mais Marthe nous appelle et propose de boire une limonade sur la terrasse. Jean s’est endormi dans son berceau, et les deux filles dessinent sur une petite table. Je les observe attendrie de voir ma grand-mère encore enfant.

Il est temps de repartir vers mon époque, je les embrasse en leur promettant de ne jamais les oublier et dis un mot à Léopold sur le livre que je veux écrire sur lui.

Cet article a été rédigé dans le cadre du #RDVAncestral. C’est un projet d’écriture, ouvert à tous, qui mêle littérature et généalogie. En savoir plus.

Retrouvez Léopold Silice dans mon arbre généalogique

10 thoughts on “Le petit carnet de Léopold

  • 19 août 2017 at 16 h 25 min
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    Il a bien des raison d’être ému ton arrière-grand-père. Il ne s’attendait pas à ce que tu le mettes à l’honneur un siècle plus tard.

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    • 21 août 2017 at 23 h 12 min
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      J’ai de la tendresse pour lui, et de l’admiration pour son œuvre. Merci Briqueloup pour ton message!

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  • 19 août 2017 at 19 h 18 min
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    Merveilleux petit carnet et tendre rendez-vous

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    • 21 août 2017 at 23 h 13 min
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      Le secret, c’est que j’ai plein de travaux de Léopold! Merci Fanny pour ton commentaire!

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  • Pingback:Numéro 12 : Août 2017 – #RDVAncestral

  • 21 août 2017 at 16 h 09 min
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    Woaw, quel carnet !
    Il avait un talent ton arrière-grand-père. J’aime particulièrement ces motifs géométriques, mathématiques presque. Je trouve ça… beau en fait, tout simplement.
    Bravo et merci de ce #RDVAncestral très intéressant.

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    • 21 août 2017 at 23 h 15 min
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      Ce n’est qu’un tout petit aperçu de ses dessins géométriques! Chaque fois que je les regarde je suis fascinée! d’où l’idée de faire un livre!. Merci de ton passage Clément!

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  • 21 août 2017 at 22 h 41 min
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    Quel AGP extraordinaire ! Vous avez bien raison de le mettre à l’honneur et le jour de son anniversaire en plus !! J’espère profondément que votre projet aboutira ! Bravo en tout cas !

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  • 21 août 2017 at 23 h 25 min
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    Amusant! je n’avais même pas fait attention que c’était son anniversaire! Merci! 😉

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  • 23 août 2017 at 19 h 44 min
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    Je venais juste de faire une recherche pour inspiration pour « English paper piecing » avec des hexagones quand j’ai accéder à votre blog. Et voila qu’une image avec des hexagones bleus et blancs apparaît! J’ai tout de suit cru que Google me poursuivait déjà avec ses propres idées d’hexagones. Mais non, c’était un des dessins de votre arrière grand-père, apparemment toujours d’actualité! Belle rencontre avec votre ancêtre artiste.

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