Fonquevillers, 29 octobre 1914
Ma bonne Cécile,
Pas encore de lettre aujourd’hui, j’espère que rien de grave ne se passe là-bas et que c’est au service de la poste qu’il faut s’en prendre. J’ai été tellement gâté ces jours derniers ! J’en suis quitte à relire tes lettres.
Même calme, pour moi ici : je dis pour moi, qui n’ai pas à aller aux tranchées, car là ça ne chôme pas, c’est toujours la fusillade de tranchée à tranchée. Tandis que la canonnade ne cesse pas . Mais si notre canon ne leur fait pas plus de mal que le leur , ils doivent être bien tranquilles . Hier nous avons eu un territorial tué, mais c’est parce qu’il marchait au milieu de la route au lieu de se défiler au long des murs qui restent des maisons. Ma chambre est toujours intacte, mais aujourd’hui, il a gelé, il n’y fait pas bien chaud. Il y a un petit fourneau genre « Choubersky » et du brouillard, je vais faire faire un peu de feu , les prussiens ne verront pas la fumée.
Mon affaire « conseil de guerre » s’est terminée. Un soldat a été acquitté, l’autre a été condamné à trois ans de prison, le premier avait abandonné son poste pendant une heure, l’autre pendant treize jours. Il avait eu la frousse, (mal inguérissable chez quelques-uns) s’était sauvé et n’avait pas retrouvé sa compagnie. Il faut croire que je n’ai pas trop bien rempli mes fonctions d’accusateur, car le défenseur (caporal, les étudiants en droit) m’a remercié en me disant que j’avais facilité sa besogne. Faut croire que je n’ai pas été trop dur.
À part cela, je te le répète, calme plat. Nous faisons toujours popotes avec le colonel de Lobit qui est toujours fonctionnaire général de brigade mais n’a pas encore les étoiles . Les deux repas de la journée sont les seules distractions. Heureusement que j’ai cette chambre où j’ai fignolé les pièces de mon conseil de guerre, sans quoi ce serait l’ennui. Aujourd’hui je vais chercher un bouquin.
Vois -tu , lire un roman à la guerre ? Au son du canon ! On voit ici que des choses invraisemblables : je t’ai dit que l’habitation que j’occupe est une brasserie, il y a donc des caves dans lesquelles, quand les obus tombent trop fort, tout le monde se précipite, et quand ça commence les troupiers font semblants de courir en criant « à la cave « , mais ils disent ça sur le ton où dans une revue du casino, on dirait « à la gare ». Et voilà l’amusement de ces gosses, qui n’arrêtent ni de chanter ni de siffler, même au moment des rafales.
Le bruit avait couru qu’on allait nous envoyer dont le nord, ou en Belgique, on n’en parle plus. Je viens de voir dans un journal que les prussiens avaient été rejetés de la frontière, vers Nancy. Mais je croyais que c’était chose faite depuis longtemps !
Allons, je cesse, ma chérie, si j’ai une lettre au courrier de ce jour, je te répondrais après-midi.
Je t’embrasse de tout mon coeur. Embrasse loulou et amitiés et souvenirs à tous. Bonjour à Léon.
J.Druesne
Je t’envoie après l’avoir relue encore la double carte de Robert, mais je la quitte à regret.
_______________________________________________
29 octobre 1914 (JMO du 37eRI)
Séance du Conseil de guerre, Thiedot 2e Classe 21e compagnie acquitté.
Schmitz 2e classe 7e compagnie condamné à 3 ans de prison pour vol.
Rien de particulier à signaler. L’ennemi montre un peu plus d’activité. Le régiment stationne dans les mêmes conditions que la veille et continue ses travaux de sape sur le front.
Cartographie du 29 octobre 1914