2 octobre
Je n’ai pu achever ma lettre hier et je n’ai guère le temps de t’en dire long aujourd’hui, cependant je vais écrire jusqu’au moment où je devrai te quitter.
C’est aujourd’hui sainte touche, je dispose de 200 francs. Je vais chercher un moyen pour te le faire parvenir. Ne crains pas que je manque de quelque chose, j’ai encore plus de 150 francs sur moi qui me servent d’avance pour la popote. Je te répète à ce sujet que je ne manque de rien et que tous les officiers de ma popote sont contents… J’ai une voiture à ma disposition avec mon cocher, un cuisinier et un serveur. Je sers presque régulièrement sauf quand on est aux tranchées, réduit au biscuit, ce qui est très rare, je fais servir dis-je à chaque repas 2 plats de viande et 1 de légumes sans compter potage, hors d’œuvre et desserts . Tu constates que c’est un régime fameux. Il est vrai que cela est souvent complété par la musique dont je t’ai parlé mais on s’y fait.
Hier et cette nuit, ça a été particulièrement dur, mais les ennemis étaient dans une position inférieure et leurs balles nous ont passé toute la nuit au-dessus de la tête.
Nous avons néanmoins mangé sur la route abritée par la cote sur une caisse vide avec une botte de paille pour siège, par un clair de lune superbe.
Je n’étais pas bien gai à la fin du repas car on nous annonça que Clément devait passer d’une compagnie. C’est un gai camarade que je perds et je ne le crois pas suffisamment brave pour faire ce métier. Il va se débrouiller pour partir, dit-il. La corde est très tendue du côté des allemands ; je crois qu’un apport un peu plus énergique enfoncerait tout cela, malheureusement ce n’est guère permis avec nos cadres réduits et les hommes fatigués. Un bon repos et une reconstitution des cadres à laquelle on procède le permettra sans doute.
J’achève ici vers 6 heures du soir. Je vais coucher dans un lit ce soir. Je t’embrasse et vais chercher le vaguemestre. Reçu ta lettre du 21 septembre ce matin avec timbres à 0,10, reçu également une lettre de Robert de Saint-Mihiel, le gosse dit qu’il est de la bonne race, car il supporte dit-il , les fatigues. Pauvre gros.
Allons, Chérie continue à être forte, tout va bien, espérons que cela continuera, après tout ils ne peuvent pas tout tuer.
Mille et mille baisers. Je t’aime, je t’aime
J.Druesne
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2 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
A 3 h du matin, le régiment reçoit l’ordre suivant: Le régiment sera rassemblé pour 5h dans le ravin à l’abri du bois situé à l’Est de la Ferme Billon et sera à la disposition du Général de Division. Ce mouvement exécuté à la faveur de la nuit et du brouillard se fit sans aucune difficulté. Néanmoins, avant le départ, les compagnies du 2e bataillon qui se trouvaient en face de Fricourt subirent une violente fusillade sans effet, ces compagnies étant à l’abri d’un talus.
A 9h du matin, les 2e et 3e bataillons reçoivent l’ordre d’aller s’établir en cantonnement d’alerte à Bray. Le 1er bataillon resta à la disposition du Général de Division. Il fut envoyé dans la soirée face à Carnoy et pendant la nuit, reçut l’ordre de venir s’installer à la cote 100 Nord Est de Bray où il passe la nuit.