Eugène (1896-1920): le petit carnet

eugeneEugène dernier fils de Frédéric a pris des notes pendant la guerre de 14/18 dans un petit carnet toîlé où il dressait la liste des lettres reçues de sa famille et de celles qu’il envoyait; mais aussi il y comptabilisait toutes les sommes d’argent envoyées par sa mère, ses frères et parfois même ses cousins. On y trouve aussi quelques adresses mais surtout il y a noté son parcours pendant la Guerre parfois en style télégraphique.

Parti d’ Issoire le 8 juillet 1916 pour le 6ème groupe.
Le 23 juillet à 10 heures du soir a éclaté à 1 mètre de moi un obus de 150 qui a tué Martel de Brioude et a blessé Brasedar, Langrand et Payé, moi couvert de terre et une forte “écomotion”. Je suis allé chercher secours à la sucrerie.
Le 23 juillet mort de Lyon Alphonse, tué par un obus de 150. L’éclat a traversé le corps du coté gauche au coté droit. Il a été enterré chrétiennement par le prêtre, on lui a acheté deux jolies couronnes. Il a été mis dans une caisse.
Le 20 août 1916. La batterie va prendre position derrière Dampierre, on a pas tiré mais ça a été pénible pour nous les conducteurs, ça a été pénible , très dur pour charger le matériel. Allons chercher les pièces, ça tombait pas loin sur notre groupe vers le P.C. Le lendemain j’y suis retourné. Ce jour là ça a été dur alors le 102 a eut des très grosses pertes. Route couverte de chevaux tués, pas moyen de passer, on charge dans la carrière mais pas pouvoir partir ils nous canardent dur au carrefour jusqu’à la sortie d’Assevillers enfin après une heure de bombardement ça cesse un peu et on part. Ils recommencent mais moins fort et plus court, pas de blessé. Les éclats venaient sur la route partout, les obus rappliquaient par grandes rafales, on ne voyait rien que du feu dans la plaine. Le sur-lendemain arrivant dans la carrière tranquille voilà qu’il en arrive une douzaine de frisant du 88 Autrichien, là dans une rafale ils s’éclatent bien vers nous, on l’abandonne tout pour aller se cacher en vitesse dans les sapes et c’était long. Voilà que je me fous dans un trou d’obus, je sors, je tombe dans un “boyau” je sors ,je suis sauvé.
Le 26 août 1916 on passe par Villers-Bretonneux par Amiens, on va encore jusqu’au camp anglais à Ailly sur Somme, là on est très bien, on y passe un beau séjour. Le 3 septembre. Délogé par les anglais on s’en va à 1 km d’Amiens, on loge sur le bord du canal de la Somme dans une grange, le repas est bon. La batterie se trouve le long de la route à 300 m en avant de Herbecourt. Le 10 notre échelon est bombardé ainsi que les jours suivants.
Le 27 octobre au soir les boches nous marmitent très fort. Le 29, journée pénible, de la flotte et des marmites en quantité on est salement bombardé par des 105, des 150 ils nous envoient des fusants, des percutants toute la journée, il ne fait pas bon, c’est une pluie de fer, une grêle d’acier. Le 2 novembre au soir des marmites tombent tout autour de nous. Le 3 les boches ont bombardé terriblement nos positions et le village d’Herbécourt, on a été porté bons vers les 7 h du soir. Le 10 on vient me relever et le 12 au matin je pars en permission, j’arrive le 13 au soir. Je passe une bonne perme mais je repars le 22 au soir. La mère vient m’accompagner au pont du Ségoulas et Alphonse vient m’accompagner à la gare. J’arrive à Paris le 23 au matin, je vais voir mon frère, je passe deux belles journées et je repars le 25 novembre, Théodore vient m’accompagner à la gare du Nord. J’en avais gros sur le coeur de repartir pour la Somme. Je viens retrouver mon échelon au même endroit. Il y a de la boue jusqu’aux genoux mais j’ai rudement le cafard.
Le 13 janvier 1917. Nous partons au repos par étape à Hangard, on arrive à 8 h du soir, on a fait 35 km et on gèle de froid. Nous repartons le 14 à 7 h du matin par un froid terrible et nous faisons encore 30 km. 2ème étape à Rocacourt dans l’Oise, le 15 on a repos et nous repartons le 16 à 6 h du matin, on fait encore 35 km, 3ème étape à Cuignières et on arrive le soir à 5 h le 17 et le 18 on a repos. Le 19 on part à 5 h du matin , on fait encore 35 km, et on vient à la 4ème étape à Villers Saint Sépulcre à 18 km de Clermont et 11 km de Beauvais vers le sud. Encore un froid de chien, il gèle très fort toute la journée. On est cantonné dans un petit village à 1 km de Villers, on est mal installé, il n’y a pas de vie. Il y a la neige et beaucoup de forêts. On couche dans un grenier, on est bien mais c’est un peu froid.
Le 15 février, je remonte au front: 1ère étape à la Erelle (Oise) la 2ème en destination à 2 km d’Hargicourt (Somme). La batterie se trouve à Gerbigny; le 18 je pars en perme de 7 jours, le 20 j’arrive à Chapeauroux où je trouve Alphonse chez Paulin puis je monte au Trémoul. Tout va assez bien, le 23 on tue le cochon. Le 1er je pars; Je vais à Maisons-Alfort (chez Théodore), en arrivant, je trouve Ferdinand, nous avons passé une belle journée et j’en suis parti le 3 mars de la gare du Nord. Je suis arrivé à Moreuil le 3 au soir et je rejoins ma batterie le 4.
Le 5 mars, je monte à la position, on part de Hangest, voilà les marmites qui rappliquent et on les a vues de près. Nous montons les pièces le 12, elles tiraient le 15 et voilà que le 16 il n’y a plus de boches. Le 17 et le 18 nous avançons toujours d’ Arras à Soissons. La cavalerie est à leur poursuite, il y a 6 ou 7 régiments de cavalerie. Les boches partent sans tirer un coup de canon et sans aucune résistance, on ne trouve rien en avançant. On a fait prisonnier un officier Major Boche. En arrivant à Roye tous les civils se réjouissent, ils sont contents de voir les artilleurs Français. Le 30 nous partons de Hargicourt, nous passons par Versailles, Coulommiers, Sezanne, la Fère-Champenoise, Chalons et nous débarquons à Sainte Hilaire et de là nous allons dans un bois à 12 km de Livry, là on couche sous les toiles de tentes, le temps est froid. La batterie est en bas en face du mont Cornillet ou du village d’Auberives. On commence la grande attaque le 13 avril; Le 17 attaque de l’infanterie, on fait des prisonniers. Le 17 au soir les boches contre-attaquent et reprennent Auberives et le mont Cornillet. Le 18 à 2 h du matin nos troupes reprennent une 2e fois le mont et toutes les collines. Le 18 au soir encore les boches contre-attaquent une 2e fois. Le 20 on transporte les échelons et les batteries se portent en avant.
Le 28 juin 1917 je pars en perm, je passe à Maisons-Alfort. Théodore est seul. J’arrive le 30 à 3h du matin au Trémoul, je trouve la mère couchée, un peu malade. Puis je vais à Tresbos et au Chambon avec Alphonse et Nathalie. Grande foire le dimanche à Chapeauroux. Les jours suivants je fais le travail, fauche le pré, ramasse les pommes de terre, le 5 je rentre la moitié du foin. Le temps est assez beau. Le 5 je vais à Tresbos. Le 6 je finis de rentrer le foin. le 7 je vais à Tresbos rentrer le foin du Sénias et je reviens le 8 à 3h du soir puis je vais me promener un peu le soir.
Le 9 juillet. fin de perm. J’arrive à Maisons-Alfort à 11 h chez Théodore. J’arrive le 11 à Mourmelon .Je les trouve toujours au même endroit pendant que j’étais en perme ils ont changé la batterie un peu à l’arrière.
Le 9 septembre, je tombe malade, une angine “Sédimateuse”, je suis évacué par l’ambulance à l’hôpital militaire du camp de Chalons. Le 21 je pars en perm de 7 jours, j’arrive à Chapeauroux le 23. Cette perm s’est bien passée j’ai beaucoup travaillé, je repars avec un peu de peine. Je passe à Connantre, on m’envoie au Bourget là on m’a équipé puis ils me renvoie à Connantre, j’y passe 24 h et je repars pour Embonnais puis je vais trouver la batterie dans les bois. Tout va bien ça ne barde pas trop mais j’ai le cafard, le plus dur c’est de voir arriver l’hiver.
Le 5 novembre à 3 h du matin je quitte la Champagne, on passe par Troyes, Dijon , Lyon, Mâcon, Avignon, Tarascon et Marseille; On y passe vers 8 h du matin puis on passe à Toulon toujours sur les bords de la mer, on débarque à Nice à 10 h du soir, on va coucher à la caserne du deuxième d’artillerie de Montagne. On part le lendemain 8 novembre de Nice, puis on commence à grimper sur les Alpes, on monte à 1000 m d’altitude; le 8 au soir on cantonne à 13 km de la frontière; On repart le 9 au matin, on passe à Menton sur les bords de mer dans cette jolie ville; on y est couvert de fleurs, on nous donne du tabac, des cigarettes, des cigares, des cartes postales, des bonbons, du chocolat, du vin, des liqueurs, des drapeaux, des couronnes, des pièces; rien ne manque, plus de cent photos ont été prises. On passe la frontière au milieu des acclamations du peuple. On arrive à Vintimiglia, on est encore bien reçu, de partout on nous apporte à boire et toujours des fleurs, des marrons, des poires, des oranges, des citrons. On couche au théâtre et on repart le 10 au matin on suit une vallée des Alpes dans ces grandes montagnes on cantonne à Breil; de retour en France on repart le 11 , on arrive à Saint Delmaco en Italie. On met les chevaux dans un tunnel, on embarque le 12 à 5 h du matin, on voyage encore en chemin de fer. Nous traversons l’Italie au milieu des acclamations, à Brecia on est bien reçu, j’ai touché un litre de vin qu’un civil m’a donné, 3 paquets de cigarettes et des bonbons. Nous débarquons à Verona puis le 14 à Villafranca. Nous restons 2 jours puis on part. On cantonne à Saint Martino. Le 18 on va trouver les autres à Castelanga.
Le 22 novembre on vient à Bruglione, on met en batterie à 30 km du front dans un village à 8 km d’ici. Le 4 décembre on vient mettre en batterie sur la Piavie à 3 km des lignes. Le 13 je pars en perm de 3 jours, je passe par Nice , j’arrive le 16 au soir à Chapeauroux je repars le 22, je passe par Marseille, Nice, Gènes, Milan, le 31 je vais voir Ferdinand, mais il est en ligne. Le 18 je vais le revoir , je le trouve à Crespignages nous passons un belle soirée. Le 20 il vient me voir nous passons toute la soirée ensemble. Nous allons chercher nos pièces le 23 à midi, nous les conduisons à Espinèda. Le 3 février 1918 je pars en perm pour 10 jours, en arrivant le 6 à la gare de Chapeauroux une femme vient m’annoncer la mort de mon frère Alphonse. Ce qui m’a fortement frappé. Je monte au Trémoul, en arrivant je trouve ma mère en bonne santé, je rejoins mon frère Théodore qui venait de partir et je reprend le train avec lui jusqu’à Prades et de là je reviens au Trémoul le 7, je vais à la messe pour mon regretté frère. Le 20 je pars à 5 h du soir, je passe par Saint Germain des Fossés, Saint Etienne, Lyon, je suis arrivé à Castelfranco le 23 à 13h. Je trouve l’échelon à la même place et la batterie entre Maser et Cournanda. Le 7 mars je me fais porter malade et on m’envoie à l’hôpital de Galliera, là je reste trois jours et le 10 au matin je pars avec un train sanitaire et je vais à Milan en ambulance. Là on est assez bien, on peut y tenir, c’est toujours la même bronchite. Je passe des mauvais moments mais j’en passe des bons aussi. Je suis bien soigné, le mois de mars se passe très bien, avril se passe pas trop bien mais le mois de mai et juin se passent bien. Je pars de Milan le 15 juin, proposé pour deux mois de convalescence.Mais je quitte Milan avec grand regret et bien de peine, enfin j’arrive à Modane pour passer la commission et on me trouve pas guéri, on me fait rentrer à l’hôpital. Là ça ne vaut pas Milan , on est bien plus mal soigné. Il ne faut avoir besoin de rien. On est comme en caserne.
Le 4 juillet, je passe au médecin de secteur, il me propose pour la côte Saint Andrée, je n’y suis pas très bien. J’en repars le 6 août 1918. Je vais à Hauteville, je passe par Lyon, je fais bon voyage, Je suis très bien, cent fois mieux qu’à la côte, on est comme des bourgeois!
Le 4 décembre 1918 je passe la commission de réforme et je suis réformé n°1 avec 30%. Le 22 décembre je pars d’Hauteville, j’arrive à Paris le 23, je reste à Maisons-Alfort quelques jours; j’arrive à Chapeauroux le 29 à midi, tout le monde va bien et je suis content.
Le 2 septembre 1919, malade. le 18 octobre rentré à l’hôpital de Mende.

Il meurt le 6 avril 1920 à l’hôpital de Langogne.
Perdu au milieu des pages, du carnet il y a un trèfle à quatre feuilles…
Il avait aussi toujours avec lui un autre carnet rempli de chansons d’amour!

NB: Ferdinand, Théodore et Alphonse sont les frères d’Eugène; Nathalie est la femme d’Alphonse.

Jai retrouvé aussi deux livrets militaires pour Eugene, car il a dû à un moment égarer l’original et avait obtenu un duplicata le 31 juillet 1918. Eugène est né le 16 mars 1896 à Saint-Martin de Valgualgues, dans le département du Gard. Il vivait au moment de son appel sous les drapeaux avec sa mère Eugénie veuve de Frédéric à Saint-Bonnet de Monteauroux où il était cultivateur.
Il avait les cheveux châtains, les yeux bleus, le front fuyant le nez “vexe” (sic) et le visage large; il mesurait 1m70. Je n’ai aucune autre mesure car je suppose qu’en temps de guerre, cela devient superflu de le savoir! Il est appelé au service armé le 1er avril 1915 à 19 ans et incorporé au 16ème régiment d’artillerie à compter du 12 avril. Il passe au 113ème d’artillerie lourde le 1er octobre 1915 et arrive au front le 10 juillet 1916. Il aura une permission de 7 jours le 18 février 1917; une de sept jours également le 29 juin 1917 et une de dix jours le 3 février 1918 ! En septembre 1917 il tombe gravement malade, il a une angine aiguë “imputable au service” avec plus de 39°2 de température. Il retombera malade en 1918 et ne s’en remettra jamais. Le 4 décembre 1918 il passe la commission de réforme et est réformé n°1; il obtient alors une pension.

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