Henri de Rouviere, pharmacien de Louis XIV, parle des dentelles fabriquées à Genève, dans une relation de voyages publiée en l’année 1703. Le comte de Marsan, le plus jeune des fils du comte d’Harcourt, amena de Bruxelles a Paris, vers la fin du dix-septième siècle, sa nourrice nommée Dumont avec ses quatre filles, et lui procura le droit exclusif d’élever dans cette ville d’ateliers de dentelles. Elle s’établit au faubourg Saint-Antoine; on lui donna un des cent-suisses du roi pour garder la porte de sa maison où, en peu de temps, elle réunit plus de deux cents filles, entre lesquelles, dit un écrivain du temps, il y en avait plusieurs de qualité. Certains ouvrages sortis de ces ateliers effacèrent les points de Venise ; cette manufacture fut depuis
transportée dans la rue Saint-Sauveur et ensuite a l’hôtel de Saint Chaumont près la porte Saint-Denis; madame Dumont étant passée en Portugal, laissa la conduite de sa maison à mademoiselle de Marsan. La fabrication des dentelles, branche importante de l’industrie de plusieurs villes et territoires de Flandre, d’Artois, de Normandie, y est l’occupation principale d’un grand nombre des femmes, surtout dans les villages qui avoisinent Lille, Cambrai, Valenciennes, Caen et Bayeux. En 1825, on évaluait a trente mille le nombre des ouvrières employées à le fabrication de la dentelle dans les environs de ces deux dernières villes. Cette branche d’industrie, introduite dans quelques contrées du territoire autrichien depuis trente années environ, présente une certaine importance; dans le cercle d’Elbogen, en Bobême, elle employait environ huit mille cinq cents individus, et en 1319, on a estimé son produit 30I,826 florins. »
Parler dentelle me fait penser à de nombreuses femmes de la branche paternelle de mes enfants. Elles vivaient en Lozère ou en Haute-Loire, de la dentelle réalisées pendant l’hiver, qu’elles vendaient à des marchands pour une bouchée de pain. Mais je vais laisser Jean Anglade dans “la vie quotidienne dans le Massif central au XIXe siècle” chez Hachette (1971) vous décrire le travail de la dentellière.
“Leur métier à dentelle, le carreau, malgré sa simplicité, suffit à toutes les exigences. Chacune l’a fabriqué elle-même, à moins qu’elle ne l’ai reçu de sa mère. La charpente est formée d’ une planche carrée sur laquelle sont fixées verticalement 4 planchettes: 2 pour l’ arrière, 2 pour servir de logement au cylindre. Ensuite, avec du coton à pansement ou de la charpie, on rembourre les cotés en donnant au-dessus une pente douce dans tous les sens, sauf au dos qui reste vertical. On enveloppe le tout d’une toile cirée portant des motifs aussi jolis que possible, toujours en ménageant l’espace du rouleau. On fixe la toile avec des épingles serrées…. ….Le plus difficile reste à construire: le tambour, long de 3 doigts ou de deux mains suivant sa destination. Il faut le faire vigoureux, avec son axe, le rembourrer comme le reste, le recouvrir, le mettre en place, vérifier s’ il tourne sans effort….
….. L’instrument semble alors terminé
En fait il ne l’est pas, car les dentellières ne se satisfont point d’un outil qui ne servirait qu’à gagner de l’ argent: elles le bichonnent, le parent, le veulent plus décoré qu’un maréchal de France. Elles le couvrent de fleurettes, de breloquettes métalliques, de lamelles d’ écailles ou de corne.
Au cylindre est fixé le modèle à reproduire, criblé de trous dans lesquels il faut enfoncer les épingles qui retiendront chaque point. Au-dessous comme un régiment de petites marionnettes. Les femmes placent le carreau sur leurs genoux. Les unes travaillent la laine, d’autres la soie, bise ou noire, ou le lin. Et voilà que commence le ballet des fuseaux. L’ouvrière en manœuvre 4 en même temps, deux de la main gauche et deux de la droite; mais ce sont uniquement les bouts des doigts qui travaillent. Les fuseaux sont en buis, en prunier, en cerisier, parfois en os; ils se croisent, sautillent, s’ entrechoquent avec une rapidité surprenante. A mesure que la dentelle se construit, on voit avancer les épingles et reculer le tambour. Bientôt, elle déborde le carreau et trouve à l’arrière un logement où elle sera enroulée jusqu’au terme de la pièce.
Quand les fuseaux sont vides, il faut les regarnir…. …..Ensuite, accrochés par la tête au cylindre, tous ces fuseaux pendent et forment sur le carreau de la dentellière un joli éventail. Pas un ne doit descendre plus bas que ses voisins. Le secret réside dans un nœud coulant spécial qui les retient à la bonne hauteur sans empêcher le fil de se dérouler au fur et à mesure des besoins.
Les différents points ont des noms pittoresques, d’après leur ressemblance: coquille, petit poissons, raisins pointus, dragées, petites amandes, chenilles fines, tête de mort, pattes de loup, éventails, marguerite, escargot….Les plus jeunes et plus habiles travaillent sur des cartons nouveaux que leur vendent les fabricants du Puy en Velay… … Les jours de marché, elles enroulent leur dentelle autour d’ une planchette. Elles font à pied les 10 ou 20 kms qui les séparent de la ville.
Certains marchands ont plusieurs centaines d’ouvrières qui travaillent pour eux. »
Parmi ces dentellières de la famille il y avait Eugénie Viala, je vous l’avais déjà présentée avec sa famille . Elle est née le 31 mai 1854 à Saint Christophe d’Allier de Jean Vital cultivateur et de Marie Agnès Barlet, 5eme d’une fratrie de 10 enfants.
Elle épouse Frédérique Célestin Bonnefille le 3 octobre 1879 à Saint Christophe. Il est maçon et tailleur de pierres (retrouvez son livret d’ouvrier et la maison qu’il a construite). Ils auront 4 garçons Ferdinand, Théodore, Alphonse et Eugène et une fille Julie qui s’éteint à 11 ans.
Ils vivront à différents endroits en fonction des chantiers de Frédéric qui décède à 56 ans en 1909, mais pas trace pour l’instant du décès d’Eugénie, je sais juste qu’elle était encore en vie lors du recensement de 1926 à Saint Christophe d’Allier.
Retrouvez la généalogie d’Eugénie Viala
J’apprécie ce billet sur les dentellières. mes grands-mères ont conservé beaucoup de dentelles qui venaient de leurs grands-mères. Cela me laisse supposer qu’elles en vendaient aux marchands du Puy. Tu es bien documentée et j’apprends beaucoup sur leur vie en lisant cet article.