Théo, Zoé, Léo et les autres…

22 décembre 1914

22 décembre 1914 au matin

Chère et bonne Cécile

J’avais raison, à peine ma lettre d’hier était partie que je recevais ta lettre du 7, j’avais reçu avant celle du 8 et celle du 9. Ce matin, j’ai reçu celle du 11 et du 12 et ton petit colis avec un mot du 10. Mes binocles vont bien, je vais les attacher et ne les ôterai plus pour faire… mes commissions.

Merci de tes bonnes paroles ma chérie, mais où trouves tu que je sois triste?

Je ne dis pas que tout rayonne en moi, hélas, les spectacles ici, dans le fond, contiennent toujours des tristesses, mais si tu catalogues toutes mes impressions, je dissimulerai.

Je te le répète ma chérie, je ne suis pas plus en danger qu’auparavant, je t’en donnerais bien la preuve si je ne craignais que tu te figures que tout est dangereux.  Sais tu que mes malheureux garde du Drapeau et l’ordonnance du colonel ont été très éprouvés: Bataillon, le gendre du père Valot le plâtrier de Maréville, est mort de ses blessures. Ce malheureux était venu m’implorer pour entrer à la garde quand j’en suis sorti pour y remplacer 2 soldats nommés à un grade supérieur.

Pourquoi aussi, dans un village bien en arrière de la ligne des malheureux ont été foudroyés, pourquoi à Gerbéviller et ailleurs des innocents ont été fusillés, tués.

Mon Chérie, c’est la guerre ; elle étend son fléau partout et heureux ceux qui en le supportant ont la chance d’être utiles à leur pays. La guerre n’est pas finie, qui sait si les péroreurs de Nancy, marchands de sable ou autres, ne souffriront pas à leur tour. Pour le reste du pays, je ne leur souhaite pas, mais que veux tu, je te cherche des raisonnements.

J’ai donc reçu tes lettres, ton colis, mes binocles vont bien je le répète, mais il me semble que je dois tenir ma lecture plus proche, mais c’est un petit détail.

J’ai léché mes lèvres en lisant le menu des choses que tu as envoyé à Robert, mais dans quel état cela arriverait –il? Mes cuisiniers, dans une maison abandonnée bombardée à Langemark, retiens ce nom, ont trouvé un immense pot contenant 20 kg d’excellent beurre salé, si je pouvais t’en envoyer. Tu parles si j’en fais de ces tartines!

Ils ont trouvé aussi dans un magasin éventré des pièces d’étoffe, avec certaines je vais faire faire des pantalons bleus ou noirs (toile bleue ou lustrine) pour cache pantalons (cache misère) il me reste de la toile pour chemise, mouchoirs, etc… mais j’ai surtout un colis d’étoffe dont je t’envoie un échantillon dont je ne me rends pas compte de la valeur. Qu’en dis-tu? Est ce la peine de conserver cela? Il va sans dire qu’il n’y a aucun scrupule à ramasser cela, une partie projetée dans la rue est déjà abimée par la pluie. Le village est complètement abandonné et il reste peu de rez de chaussée habitables, le reste étant bombardé.

J’ai reçu une bonne lettre de Robert, je lui réponds. Crois tu que ce fou, parce que je lui avais appris mon changement de poste, me demandait de se rapprocher de moi. Ah! Non, ai-je répondu, je m’y oppose. Comme tu le dis, chacun sa part.

Je te disais donc que je ne trouvais pas en quoi mes lettres te paraissaient plus tristes. Je ne me souviens pas non plus t’avoir dit que j’avais souffert de la faim. En tous cas c ‘était passager et je n’étais pas seul; le colonel de Lobit a craqué avec moi un biscuit.

Mais tout cela ma chérie n’est pas à retenir. Si tu as des moments de tristesse, bien compréhensibles du reste, pourquoi veux tu qu’il n’en soit pas de même parfois pour moi ici. Moi qui suis loin de vous et qui ai parfois de si horribles spectacles sous les yeux. Mais heureusement, je te l’ai déjà dit, et c’est ce qui prouve que c’est de là que vient parfois une tristesse, un mot de toi me fait rayonner et tout, tout, j’oublie tout lorsque en n’importe quel lieu, je lis tes lettres, jusqu’à ce que le paquet trop gros m’oblige à les reléguer dans ma cantine. Encore gardais-je les 2 ou 3 dernières dans mon portefeuille, là dans ma poche extérieure de capote du coté du cœur avec vos chères photographies.

Allons ma Chérie, encore une fois, fais comme jusqu’à présent, aies foi, espérance et confiance.

Je t’embrasse bien fort ainsi que Loulou, Eugénie dont je suis content du retour.

Ton tout à toi

J. Druesne

Ce pauvre Bataillon dont je te parle ci-dessus était un ancien sapeur pompier du régiment, maçon, fier de ses œuvres, il avait construit quelques maisons lui-même qu’il avait revendues. Il commençait à prospérer, sans cette guerre…

____________________________________

Jules est porté disparu le 22 décembre 1914( voir ci-dessous )

____________________________________

22 décembre 1914 (JMO du 37e RI)

La veille, le régiment reçoit l’ordre suivant:  2 bataillons du 3èe attaqueront les tranchées ennemies et groupes de maisons au Nord Ouest du bois triangulaire, boqueteaux au Nord du même bois, ensuite les tranchées de 2eme ligne au sud de Bixshoote et si possible Bixshoote . Les deux bataillons seront sous les ordres du Lieutenant Lacapelle ainsi que la compagnie D. du génie qui est adjointe au 37e.

Renseignements sur l’ennemi: de la reconnaissance faite le 19, des renseignements donnés par les commandants de compagnie du 26e de 1ere ligne et d’après un prisonnier fait le 19 il résulte: Bixshoote ne serait pas organisé défensivement. Il n’existe aucune tranchée à l’intérieur du village et les quelques tranchées qui se trouvent immédiatement devant le village dans la direction, de Langhemarck sont inoccupées et remplies d’eau. Bixshoote seraient régulièrement occupé par 2 bataillons d’Infanterie cantonnées dans les caves et ayant de faibles avant-postes dans les tranchées.

Ordres du colonel: le 3eme bataillon partira de Pilkum à 4h et se portera par le chemin de Pilkum à Bixshoote en arrière des tranchées du 26e face à son objectif; Il attaquera en 2  colonnes de 2 compagnies et après avoir enlevé les 1eres tranchées où il laissera 1 ou 2 compagnies pour les garder, il se dirigera sur l’entrée de Bixshoote. Le 2eme bataillon traversera le pont de Boesinghe à 4h, suivra le même chemin que le 3e jusqu’au carrefour du chemin de « ma campagne » et ensuite par la lisière Est du bois triangulaire, se placera face au bois en trapèze au Nord du bois triangulaire. A 6h 30, l’artillerie exécutera un tir de préparation qu’elle cessera à 6h42. A 6h 45, elle reportera son tir sur la 2eme ligne.

L’attaque débouchera à 6h 45. Le mouvement sera lié à gauche avec celui de la brigade de fusiliers marins.

Exécution de l’attaque:

1°- le 3e bataillon débouche à l’heure prescrite. Les 2 compagnies de 1ere ligne (11e et 12e) atteignent la tranchée à 250 m environ devant les tranchées du 26e. Le terrain extrêmement mauvais et les pertes subies par les compagnies de 1ere ligne arrêtèrent le mouvement. Le chef du 3e Bataillon (commandant de Hautecloque) ayant été tué vers 8h, le commandant de la 9e compagnie (commandant Dusseaux) blessé également, le capitaine Melty adjoint au colonel, fut envoyé pour prendre le commandement du 3e bataillon dans le courant de la matinée. Il fit rétablir la liaison entre la 12e compagnie (Lieutenant Jausas) et le 2e bataillon à travers le bois en trapèze. Cette liaison difficile en raison de l’inondation de ce bois, ne fut obtenue que dans la nuit du 22 au 23.

2- Le 2e bataillon, après avoir suivi la lisière Est du bois triangulaire ne se mit pas exactement en face de son objectif et déclencha son mouvement à l’heure prescrite, mais dans la direction Nord Est. Les 2 compagnies de 1ere ligne (6e et 8e) atteignirent les fils de fer ennemies et furent fauchés et faites prisonnières en entier. La 7e ne sortit pas du bois. La 5e avait été conservée en réserve à la disposition du Lieutenant colonel à la lisière Est du bois triangulaire au Nord du chemin de « ma campagne ».

Le régiment subit pendant les journées des 22 et 23 un bombardement extrêmement violent. Il conserva ses positions. Il avait gagné environ 250m en profondeur sur un front de 500 m. Les fusiliers marins à gauche ne tentèrent aucun mouvement offensif dans la partie de leur front contiguë au 37e. Les pertes à la suite de cette affaire sont les suivantes:

officiers:

Commandant de Hautecloque: tué (3e Bataillon)                                                     

Capitaine Dusseaux: blessé (9e compagnie)                                                     

Sous-lieutenants Chanut et Seyewetz: disparus (6e)                                                   

Lieutenant Druesne : disparu (8e)

Troupe:     32 tués; 100 blessés, 246 disparus

_________________________________________

«Historique du 37e régiment d’infanterie. France. 1914-1918″

Jusqu’au 15 avril 1915, nos vaillants soldats, exténués, sans vêtements, supportent avec une abnégation, un esprit de sacrifice, un courage et une ténacité admirables, la vie dure et pénible des tranchées de l’Yser, où l’homme, accroupi et enlisé dans une eau boueuse, passait ses nuits sans repos à assurer le ravitaillement et à relever un parapet de boue qui ne cessait de s’affaisser dans la tranchée. Vie infernale si elle n’eût été une vie de sublime héroïsme Cette vie, le 37e l’a vécue sans plainte, sans récrimination, avec une patience surhumaine. En dépit de ses souffrances, il maintint toujours inviolées les positions dont la garde lui était confiée, mordant même dans les lignes ennemies chaque fois que l’occasion lui en fut offerte.

Le 21 décembre, dans la soirée, le régiment reçut l’ordre d’attaquer le 22 les tranchées ennemies et le groupe de maisons au nord-ouest du bois Triangulaire, le boqueteau au nord du même bois, puis les tranchées au sud de Bixschoote.

A l’heure fixée, les 2e et 3e bataillons s’élancent à l’assaut avec un merveilleux entrain à travers un terrain marécageux, labouré de trous d’obus et sous un feu violent. Les 6e et 8e compagnies abordent les réseaux ennemis, mais elles cherchent vainement à s’y frayer un passage et en quelques instants elles sont décimées. Le 3e bataillon, sous les ordres d’un chef d’une vaillance éprouvée, le commandant DE HAUTECLOCQUE, fait un bond de 150 mètres; puis, lui aussi, est cloué au sol par le canon et les mitrailleuses.

Cette attaque, partie avec un élan superbe, échoue devant le feu puissant de l’ennemi et ses défenses accessoires; elle nous coûte 350 blessés graves et la vie de 4 officiers, le commandant DE HAUTECLOCQUE, le lieutenant DRUESNE, les sous-lieutenants CHANUT et. SEYEWETZ et de 50 braves soldats. Dure journée, mais qui montrait que le séjour dans les tranchées de l’Yser n’avait pas émoussé l’ardeur combative du 37e quand il attaquait, c’était toujours avec la même énergie et le même élan.

Cartographie du 22 décembre 1914

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut