Maurice 1914-1925 par Madeleine

Les rumeurs de guerre contre les Allemands, ces Prussiens d’autrefois, dérangèrent en 1913 la fin des études de Maurice. Il eut sa première partie de bacho latin et grec et, en 1914, la deuxième partie. Il demanda aussitôt à son père la permission de s’engager, ne rêvant que, comme tous les jeunes de cette génération, de prendre la revanche de la guerre de 1870. Il avait 18 ans et vous comprendrez que le père pour qui seul ce fils comptait dans sa vie, refusa et Maurice qui désirait faire ses études de médecine, se consola en tenant, pendant l’hiver 1914, à Besançon, la pharmacie de son cousin Fernand Crétet, mobilisé.

Et en 1915, à l’âge de 19 ans, sa classe fut appelée, avec un an d’avance, car il fallait remplacer tous ces soldats morts ou blessés de l’hiver 1914 si meurtrier. Ce furent alors pour Maurice quatre années de cette guerre de tranchées qui fut si éprouvante et où tant de jeunes perdirent la vie. Il fut très vite envoyé à Verdun, à l’enfer de Verdun, comme on l’appelait, d’où l’on ne redescendait au repos que si la moitié du régiment avait été tué ou blessé !… Ce fut pour Papy une terrible épreuve dont il resta marqué à jamais et qui durcit son caractère. A Verdun, il ne fut pas blessé mais gazé, n’ayant pas eu le temps de mettre son masque à l’explosion d’un de ces obus démoniaques. Il fut hospitalisé.
« Et dans mon lit, me racontait-il, comme si cela s’était passé hier, j’appelais: Ma soeur ! ma soeur ! je suis aveugle : je ne vois plus rien ! »
C’était l’effet de l’ypérite qui dure au moins deux jours. Et la grande cornette au doux visage, se penchait sur ces enfants pour les rassurer. En effet, le troisième jour, tous ces gazés recouvrèrent la vue ; mais cette épouvante était restée gravée en Papy puisque je ne peux m’empêcher de vous le raconter tant cela m’a bouleversée — en 1937, un soir qu’il rentrait avec beaucoup de retard d’une réunion d’officiers de réserve de Compiègne, à Thourotte, ayant fait toute la route dans un brouillard intense, il me cria en arrivant, comme s’il délirait:
« Je suis aveugle ! Je suis aveugle ! Elle vient la guerre ! Je la sens ! Elle arrive ! »
Je finis par le calmer, mais le lendemain au réveil, il me dit sérieusement cette fois:
« Il va y avoir la guerre et il faut que tu apprennes à conduire pour sauver nos enfants. »
Prescience extraordinaire ! J’avais 34 ans et c’est ainsi que j’eus la joie d’apprendre à conduire pour « sauver » nos enfants, en partant de Thourotte en Bretagne… où les Allemands nous rejoignirent 15 jours après !

Mais ceci est une autre histoire…

Maurice et les camarades de son âge, montèrent en ligne dans tous les secteurs les plus exposés et les cris des blessés et des mourants résonnaient encore à ses oreilles. Les pertes étaient immenses. Dans la Somme, Papy fut blessé à l’épaule par un tireur allemand, planqué dans un arbre. La balle ressortit dans le haut du bras.
Ses cicatrices étaient très apparentes et il les montrait avec fierté ! De tout ce qu’il me raconta, ce dont je me souviens le plus, c’est le jour où entendant un « poilu » blessé appelant au secours entre les tranchées françaises et les allemandes, dans ce « no man’s land » si dangereux, il décida d’aller le chercher. Son cher ami Dutch lui dit, aussitôt :
« Je vais avec toi !
— Non, je ne veux pas ! C’est beaucoup plus dangereux à deux ! »
Rien n’y fit Dutch sauta le parapet de la tranchée en même temps que lui et un coup de feu partit aussitôt des lignes allemandes. Maurice tendit la main vers son compagnon lui disant, anxieux :
« Tu es blessé ? »
Et ce fut sa cervelle que sa main toucha… Moi, épouvantée, je buvais ses paroles, faisant la connaissance de la guerre et de ses horreurs. Je n’avais que onze ans en 1914…

Ces trois années de souffrances physiques et morales avaient laissé en Maurice des blessures indélébiles et durci son caractère. « Je ne reconnais plus mon fils », dit son père quand il rentra vers lui.
Il avait gagné ses galons un à un, après les plus dures attaques : caporal, sergent, sous-lieutenant ; la Croix de guerre à Verdun avec palme, puis une étoile. Il n’en était pas peu fier de sa Croix de guerre, gagnée à 20 ans ! Dans toutes les photos de ce temps-là, elle brille sur sa vareuse noire. Au grenier de Montaigu, je l’ai cette vareuse noire, où se détachent, remarquablement stoppés les trous d’entrée et de sortie de la balle qui l’avait blessé. Elle a 75 ans… Que deviendra-t-elle après ma mort ? Brûlez-là.
Et le 11 novembre 1918, ce fut l’armistice que l’on pressentait depuis quelque temps, car nos troupes avaient repoussé les Allemands jusqu’à leur frontière. Les cloches de toutes les églises de France sonnèrent à toute volée à midi juste ! Je les entends encore, rue Théophile-Gautier à Paris où j’étais ! J’avais 15 ans. Ce fut une allégresse délirante. Tout le monde s’embrassait !
Les Allemands étaient vaincus ! La défaite de 1870 était effacée et le régiment de Maurice reçut un accueil triomphal à Strasbourg, sous le joug allemand depuis quarante huit ans ! Il avait les larmes aux yeux en me racontant l’enthousiasme fou de la population qui se disputait à qui logerait un soldat français dans sa maison. L’Alsace-Lorraine allait redevenir française !

En 1918, la Pologne, après le traité de Brest Litovsk entre l’Allemagne et la Russie, était en danger et demanda à la France des officiers pour encadrer ses troupes. Sachant qu’à cause de son âge (22 ans) il serait démobilisé dans les derniers et pour échapper à la vie de caserne, se porta volontaire pour la Pologne. Il y partit deux ans comme conseiller instructeur et gardait un très bon souvenir de ce pays.

Et en 1920, après cinq ans d’absence, ce fut le retour au berceau familial dans le Jura, deux ou trois mois de liesse d’avoir échappé au cauchemar de la guerre ; puis la recherche d’une situation, étant trop âgé, hélas ! pour commencer des études de médecine.
Avec une recommandation, il se présenta à Elie d’ Oissel, un des grands administrateurs de la Compagnie de Saint-Gobain :

« Quels diplômes avez-vous ?

— Le baccalauréat.

— Que savez-vous faire ?

— La guerre…

— Savez-vous ce que c’est la comptabilité ?

— Je n’en ai pas la moindre idée !

— Très intéressant ! On vous formera : je vous engage ! »

Et c’est ainsi que Papy pendant quarante et un ans, avec beaucoup de courage car, lui, le littéraire les détestait, mania les colonnes de chiffres qui le menèrent en fin de carrière, à la Direction financière des 22 usines d’Espagne.

En 1925, il avait épousé Madeleine Ancelet et ils eurent… quatre enfants !
Mais ceci est une autre histoire !

2 thoughts on “Maurice 1914-1925 par Madeleine

  • 17 août 2006 at 10 h 50 min
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    Passionnantes ces petites chroniques … et puis ici je peux laisser faicilement un commentaire 😉

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  • 11 septembre 2006 at 18 h 48 min
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    Voilà un moment que je n’étais venue….toujours aussi émouvant à lire!
    Dany

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