26 septembre 1914

Près de Pérouse, le 26 septembre 1914

Ma bonne Cécile

Tu dois dire que je te néglige depuis quelque temps cependant ce n’est pas ma faute car le temps me manque, c’est pourquoi je ne t’envoie que quelques mots quand il m’est possible de le faire.

Je t’ai parlé de la tristesse que m’avait causée le départ du colonel, il fut remplacé le soir même par le Colonel Lacapelle du 4e bataillon de chasseurs de Saint Nicolas, mais hier ce dernier a été blessé d’une balle à l’aine. C’est un brave mais trop brave. Nous avons eu hier une forte journée et si les pertes de l’ennemi ont été fortes, les nôtres l’ont été également. Je suis toujours indemne et ai refusé ma nomination à un commandement de compagnie, c’est-à-dire aux galons de capitaine. La raison que Clément a fait valoir pour moi et à mon insu, car tu le devines, je ne pouvais refuser moi-même a prévalu car on ne m’en parle plus.

Des compagnies sont commandées par des adjudants nommés sous-lieutenants. Il y en a même une, par un jeune St Cyrien. C’est te dire que l’on tient à m’être agréable pour qu’on n’insiste pas davantage.

Bref ma Chérie, tu vois que je ne chôme pas. J’ai trouvé une jumelle stéréoscopique pour Robert. Quand pourrais-je lui faire parvenir ?

Je n’ai plus de nouvelles de lui. Pas plus que de toi, ma chérie, car je n’ai rien reçu depuis notre rencontre de Dombasle.

Ma jambe est complètement guérie, je n’ai plus comme souvenir que deux sales noirs à droite et à gauche du genou. C’est un miracle que cela ne m’ait pas gêné davantage pour la marche. Sans lui faire de peine, profite de cela pour dire à Loulou de s’apprendre à réfléchir avant  d’agir, ce n’est pas un reproche puisque le pauvre gosse était heureux d’être auprès de moi, mais il aurait dû être près de toi à ce moment-là.

J’ai eu des émotions depuis que je suis parti, mais aucune ne m’a produit celle que j’ai ressentie quand je l’ai senti passer, oh les secondes terribles ! Quel bonheur que tu n’aies rien vu. Mais aussi combien cela prouve la racine profonde de nos sentiments puisque devant un fait aussi banal en résumé, j’ai éprouvé pareille sensation, alors que chaque jour, je vois des choses si terribles.

Pauvre loulou, m’as-tu fait peur !

Ma bonne Cécile, je suis bien heureux, le 1er octobre, je ne t’en ai pas encore parlé, mais cela, avec l’assurance, m’occupe beaucoup. Je veux dire que le 1er octobre, je compterai 12 ans de services à l’Asile, c’est-à-dire , aurai le droit à la retraite. Cette situation te créerait les avantages que je redoutais de ne pas pouvoir obtenir si je disparaissais avant cette date. C’est donc un profond soulagement pour moi de voir avancer cette date.

Je ne m’étends pas d’avantage sur la situation ici, tu sais qu’il faut être circonspect. Toutefois, je crois pouvoir dire que notre intervention est salutaire.

Hier le régiment entièrement engagé a été admirable, mais que dire des chasseurs à pied et notamment du 2e ?, le bataillon de Lunéville. Les Allemands les ont surnommés « les diables noirs » ou les hirondelles de la mort. Les chasseurs en sont d’ailleurs très fiers.

Allons chérie, je cesse, puisse cette lettre t’arriver rapidement. Je t’embrasse follement

Ton Jules

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Le 26 septembre 1914 (JMO du 37e RI)

A 11h du matin le régiment reçoit l’ordre suivant: attaquer Dompierre et Bussus. Le 79e où la gauche doit attaquer également, se relie à droite avec le 14e corps qui est dans la région de  Foucancourt. Le 1er bataillon doit attaquer à gauche le 3e bataillon à droite. Le 2e bataillon doit soutenir les 2 premiers en arrière. La marche a lieu sans difficulté jusqu’à ce que les premiers éléments arrivent à la hauteur de la « Sucrerie » sur la route Chuignes Dompierre.

A ce moment éclate une vive canonnade qui ralentit beaucoup la marche. Néanmoins, les 1ers éléments des 2 bataillons atteignent Dompierre qui à partir de ce moment est violemment bombardé. Les pertes sont assez sérieuses. Le 3e devait occuper Bussus. Il réussit à y pousser une section qui est arrêté par la fusillade allemande.

Les 1er et 3e bataillons avaient reçu l’ordre d’achever à la tombée de la nuit l’occupation des positions qui avaient étés assignées au Régiment. Cette occupation devait être faite de la façon suivante: laisser le moins de monde possible en ligne; 1 bataillon pour occuper Dompierre et Bussus, mettre 2 compagnies à Fontaines les Epy, 1 compagnies à Chuignes, 1 compagnie à Chuignolles comme protection d’Artillerie qui cantonne dans ces 2 derniers villages. Un bataillon devait être réservé en entier. Il se rassemble au chateau au Nord de Fontaine les Tappy où il se passe la nuit avec le commandant du Régiment. L’occupation de la position a été très gênée par un contre retour offensif allemand à la lisière Sud de Dompierre et sur la droite dans la trouée existant entre notre droite et le 14e Corps. Les pertes du régiment ont été les suivantes: … tués, … blessés dont le lieutenant Berthet.

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« Historique du 37e régiment d’infanterie. France. 1914-1918″ 

Le lendemain, le régiment poursuit son attaque pour s’emparer de Dompierre et de Bussus.

Sa progression est facilitée par un terrain très couvert et par l’évacuation de Fontaine-lès-Cappy, que l’ennemi a abandonné dans la nuit sous notre pression de la veille. Les éléments de tête peuvent ainsi déboucher presque sans pertes à 800 mètres de Dompierre. A partir de ce point, l’artillerie ennemie fait un violent barrage qui nous cause des pertes très lourdes. Néanmoins, les 1ère, 4e et 11ème compagnies pénètrent dans Dompierre et la 9ème atteint Bussus. Mais une violente contre- attaque rejette cette compagnie sur Dompierre, où l’ennemi essaie de pénétrer à sa suite. De furieux combats s’engagent alors dans la nuit.

C’est à ce moment que le lieutenant BERTHET, qui avait juré de ne pas tomber vivant aux mains de l’ennemi, trouve une mort héroïque dans une charge à la baïonnette qu’il conduit à la tête de quelques hommes contre une des colonnes allemandes. C’est là aussi qu’une patrouille, commandée par le sergent DE POUYDRAGUIN, jeune sous-officier d’une admirable audace, tombe dans une section allemande et, sommé de se rendre, répond par une charge à la baïonnette qui la dégage et lui permet de ramener ses blessés.

Malgré tous ses efforts, l’ennemi n’arrive pas à prendre pied dans le village; nos hommes en défendent les abords avec la dernière énergie.

Cartographie du 26 septembre 1914

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