Madeleine, 1936: la maladie de Maurice

Suite des souvenirs de Madeleine…
Je viens de m’étendre longuement sur ces dix années où sont nés nos quatre enfants. Notre vie à Thourotte était sans histoire ; des petites bonnes successives m’aidaient à m’occuper des enfants, du ménage et me permettaient d’aller souvent à Compiègne où nous avions de plus en plus d’amis. A la sortie du bureau à 6h, nous allions souvent dîner chez les uns ou les autres et bridger. Nous allions au théâtre chaque fois que passaient des Opérettes, genre qui nous plaisait beaucoup ! « Le pays du sourire », qui d’ailleurs a été repris il n’y a pas si longtemps, est une de celles qui nous a le plus marqués. C’est d’ailleurs peut être à la sortie de cette opérette que mon mari prit un coup de froid qui tourna très mal. Compiègne avait un climat humide et c’était l’hiver. Très vite Maurice dut s’aliter et la fièvre atteignit 40°. Le Docteur Léonard diagnostiqua une pneumonie, pleurésie, aggravée d’un ictère !! Je me vois à son chevet, inquiète bien sûr, mais ne me rendant pas compte de l’extrême gravité de son état. Nous étions tout près de Noël, grâce à Dieu, car cela incita mon père a venir nous voir pour se rendre compte de l’état de santé de son gendre. La veille Maurice m’avait dit cette phrase sibylline « Je ne lutte plus… » Il devait se sentir perdu et moi, trop jeune, inconsciente, je ne m’en rendais pas compte. Mon père s’en rendit compte, lui, et arrivé à Paris, à la Gare du Nord même, il téléphona à son frère le Dr A., mon cher oncle, pour lui expliquer l’état de Maurice. Et aussitôt « Gabriel » téléphona à son confrère de Thourotte d’aller immédiatement faire des ventouses scarifiées à son client Maurice B.. C’était le soir de Noël et le docteur alla se coucher, pensant sûrement que cela pourrait attendre le lendemain.
La nuit fut si mauvaise que je ne dormis presque pas et, devenue consciente de la gravité de la maladie, j’allai à 6h du matin sonner chez le docteur qui n’habitait pas très loin de chez nous : « J’arrive tout de suite » fut la réponse. Bien sûr, moi je ne savais rien des coups de téléphone de la veille. Il était venu avec une boîte de ventouses ; il me dit de monter avec lui et d’apporter un grand saladier : je me demandais bien pourquoi… Il posa les ventouses, enlevant l’air avec une allumette. Il en mit… 8, 10… 12, je ne sais plus. Elles gonflèrent aussitôt, et le dos de mon mari était tout noir… Le docteur enleva les ventouses et les « scarifia », mot que je ne connaissais pas et appris avec épouvante en voyant le docteur couper chacune de ces « enflures » avec son « scarificateur », recueillir le sang noirâtre qui en sortait et me le verser dans mon saladier, qui fut rempli aux trois quarts… Je remercie le Seigneur de n’avoir jamais été une « femmelette » et d’avoir pu supporter, sans broncher, la vue de tout ce sang… Je me vois encore descendant à la cuisine, un peu dans les « vaps », pour montrer ce sang à la petite bonne.
Recouché, pansé, Maurice s’endormit presque aussitôt, lui qui n’avait pas dormi depuis trois jours. Je regardais avec vénération cet homme qui enfin semblait aller mieux. Je me gardais bien de le réveiller pour lui donner toutes les trois heures, ses médicaments. Vers onze heures du matin, mon oncle, avec ce dévouement qui était sa plus grande qualité, arriva : et c’est là que je compris le drame auquel je venais d’échapper : « Ton mari est sauvé ! » Les voisins : Jampsin, Gasser, Kaisin sachant Maurice malade, avaient pris chacun un enfant. Et lorsqu’ils vinrent les raccompagner je leur répétai sans me lasser : »Il est sauvé ! » les laissant tout abasourdis, car, eux non plus, ne se doutaient pas qu’il y avait eu danger de mort… Le directeur, M. Desbordes, vint le lendemain et me dit qu’il laissait mon mari prendre toute la convalescence qui lui serait nécessaire.
Et c’est ce jour-là en descendant à la cave, – souvenir ô combien précis – que je me rendis compte en me remémorant les dates du mois… que j’étais enceinte de celle qui sera Chantal et dont j’ai parlé, trop tôt donc, dans le chapitre précédent et qui aurait pu ne pas connaître son père.
Maurice se remit petit à petit et en mars, je crois, nous partîmes tous les cinq au bon air du Jura, à Giron, environ à 1 000 m d’altitude, pour remettre complètement mon mari de sa pneumonie. J’étais donc enceinte et assez forte, puisque c’était mon quatrième et, à l’hôtel, nous fûmes admirablement soignés et même dorlotés.
Nous faisions une grande promenade tous les matins dans les bois environnants. Un jour, nous nous perdîmes… Onze heures, midi, une heure… Soudainement, en haut de notre colline, nous aperçûmes de loin Giron ! Et ce n’est qu’à trois heures que nous réapparûmes à l’hôtel où l’on était très inquiets à notre sujet « surtout avec la dame enceinte. Mais comme nous avions un mariage, nous n’avons pas pu aller à votre recherche. Mettez-vous vite à table, vous aurez le même menu que les invités du mariage ! » Vite à table ! Que croyez-vous ? Que notre Papy allait nous permettre, d’aller dans la salle du restaurant, sales, décoiffés. Nous montâmes dans la chambre nous changer, lisser nos cheveux et nous nous présentâmes dignes d’être comptés parmi les invités de la noce !!! Mais là, nous avons fait honneur au repas qui était épatant !
Revenons à la naissance de Chantal. L’accouchement aurait pu être très difficile car le baby se présentait par le siège. Le Dr Léonard arriva à la retourner au dernier moment et tout se passa bien. Le lendemain matin de bonne heure mon cher mari, avec un air très sérieux vint m’apporter le bébé bien langé et habillé et me dit : « Tiens, embrasse Chantal pour la dernière fois : tu ne voulais pas de cet enfant et j’ai trouvé à le donner ! » Je le regardai avec stupeur pris le bébé, le dévorai de baisers, le serra contre moi et mon mari éclata de rire, bienheureux de sa petite vengeance vis-à-vis de cette mère qui ne voulait pas de quatrième enfant. Vous qui me lisez, sachez que : « Plus on en a, plus on les aime ! » Retrouver un tout petit alors que vos autres enfants sont autonomes, c’est merveilleux. J’avais nourri Monique six mois, Alain quatre mois, François trois mois. Je ne nourris Chantal que deux mois. Est-ce pour cela ou plutôt parce qu’elle avait été conçue au moment où la santé de son Père était un peu déficiente, mais à l’âge de six mois elle nous fit une grande peur. Elle ne voulait absolument plus manger et dépérissait chaque jour. Seuls les yaourts étaient avalés : Monique tenait les jambes, les deux autres chacun un bras, mois j’ouvrais la bouche et Maurice enfournait la cuillère de yaourt… Nous avons passé des jours affreux, ne voulant pas perdre cette belle poupée que nous adorions. Nous faisions tous les soirs la prière autour de son berceau. Et un jour elle sourit et recommença à accepter le nourriture. Dieu nous avait exaucé. Elle était sauvée.
Qu’avait-elle eu ?
J’avais l’habitude de m’occuper de mes poupons strictement toutes les trois heures. Je leur donnai le sein ou le biberon, je les changeais et je les remettais dans leur berceau, seul, dans une chambre. Or, je viens d’apprendre que le nouveau-né a besoin d’entendre la voix de sa mère ou de ses frères, tous les bruits familiers de la maison : le silence que je pensais lui être salutaire, devait l’angoisser et créer chez lui une espèce de dépression… Il est bien trop tard pour moi d’apprendre cela. Mais je le note pour vous qui me lisez… Sachez que l’enfant que vous portez dans votre ventre entend votre voix… Je ne le savais pas non plus.

One thought on “Madeleine, 1936: la maladie de Maurice

  • 11 octobre 2005 at 23 h 52 min
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    La photo est superbe et le texte savoureux d’autant que l’histoire se termine bien.
    On doit en conclure une nouvelle fois, que tu as chez toi des trésors d’archives .
    Bonne nuit et merci.

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