Adèle: une inconnue vers 1858

Trois lettres isolées sans rapport avec mes ancêtres, récupérées par hasard, et des personnages de roman ou de film se dessinent. Sous  le règne de Napoléon III, Adèle Monnier habitant Paris écrit à sa mère Madame Silardière habitant 9 rue Saint-Vincent à Nantes. Une femme qui manie l’orthographe avec aisance mais qui semble un peu juste financièrement, des rapports filiaux particuliers, une femme malade… un médecin ou un psychologue pourrait en dire plus! Je vous laisse découvrir Adèle.

Janvier 1857
Ma chère mère
Je fais des vœux du profond de mon coeur pour que tu aies une heureuse année, surtout une bonne santé, mais si tu avais le malheur d’être malade, je ne le saurais pas et cela vaudrait mieux pour moi.
Il m’est arrivé encore un nouveau malheur depuis ma dernière. Le dernier samedi du mois de novembre, à vingt pas de chez moi j’ai fait une chute dont j’aurai bien de la peine à relever; je me suis blessée principalement à l’aine au bas ventre, à la cuisse du coté le plus anciennement malade. Ce que j’ai souffert ne peut pas s’exprimer surtout dans une lettre, mais cette chute a causé chez moi des effets extraordinaires. Nous sommes au huit janvier et depuis je n’ai pas mis le pied dans le corridor, je me traîne chez moi en appuyant mes deux mains sur une chaise que je fais marcher. J’ai été trois semaines couchée sur le dos avec les jambes crochet, pour nourriture ne prenant presque du vulnéraire, quand on ne peut plus faire les mouvements nécessaires à la vie il faudrait que quelqu’un vienne vous assommer. J’ai toujours dit que mes douleurs n’étaient pas ordinaires, je crois savoir maintenant; j’ai deux maladies, je uis comme blessée à la hanche et un commencement de paralysie  depuis la ceinture jusqu’aux pieds, on m’a dit que si on en guérissait la première fois, on en mourrait la seconde, voilà cependant la récompense de la vie la plus pure. 1e ne me lasse pas de te répéter, ne reste pas seule dans un grand appartement; de la plus petite imprudence il en résulte quelques fois des malheurs irréparables, prends
un parti quelconque, à quoi sert d’avoir vendu le bien à vil prix si ce n’est pas pour avoir les moyens d’avoir quelqu’un près de toi. Tu manges si peu, il faut te nourrir  bien,  mettre moins de pain dans ton café pour pouvoir manger après un œuf frais ou autre chose.
Comment peux tu chercher à tourmenter une personne dans l’état ou je suis qui ne peut pas faire ses affaires les plus pressantes; tu dis que tu as été sur le point de ne pas mettre ma pension, moi qui ait été obligée de rester une nuit dans un hôtel ne pouvant pas supporter encore une course de voiture pour revenir chez moi. Il faut fixer quand tu veux que je t’écrives, j’ignore ce qu’il faut de temps pour faire passer l’argent sans frais alors je t’écris vers le printemps et je ne te récris après que lorsque je vois que je irai à poste restante que longtemps après l’époque fixée. Dans ta lettre on voit que tu crains avec raison que je sois morte, mais dans ce cas j’espère que tu
trouverais ma pension reçu ou non reçu à moins qu’au mépris de ma dernière volonté on ne conserverait pas mon local jusqu’à ton arrivée, dans ce cas ils leur en collerait bien aux doigts et tu ne trouverais pas grand chose.
Je ne sais pas quand cette lettre te parviendra mais s’il y avait la moindre circonstance heureuse je la presserais davantage.
Tu veux reculer l’époque de ma pension, tu ne sais pas le mal que cela peut faire, justement je vais la chercher toujours trop tard ce qui me cause beaucoup de tort parce que avant de recevoir ma pension, je ne m’occupe que de remèdes et après l’avoir reçue je m’occupe de faire blanchir mon linge et de mon hiver le froid et les mauvais viennent toujours avant que j’ai fini parce qu’avec mes souffrances il me faut trois mois pour faire ce que les autres font dans trois jours, explique toi à cet égard.
Il y aurait mille francs à gagner pour faire seulement la moitié d’un pas sans m’appuyer, je ne pourrai pas, voilà le résultat de ma chute et de dix ans de souffrance, autrefois dans des instants je croyais guérir maintenant le mal fait des progrès sans s’adoucir, rien de plus dangereux que les chutes surtout pour les malades et les vieilles gens, pourquoi quand tu es obligée de faire une grande course ne prends tu pas une voiture. L’adresse de l’homme à qui tu as vendu ton bien, je l’ai égaré ainsi tu la renverras si tu veux. Quelle patience j’ai des plumes qui ne marquent pas et de l’encre toute blanche qui devient rouge. Je connais une dame dont le mari était sujet à des étourdissements, elle s’est éloignée une petite demie heure il était tombé à bas et mort quand elle est rentrée, la page qu’il écrivait n’était pas encore sèche, elle l’a fait encadrée.
Toi pour couronner mes souffrances tu me réserves que tu seras morte d’une mort violente manque d’avoir quelqu’un près de toit, je voudrais bien veiller moi-même sur tes jours mais ma maladie s’oppose et quand même je n’habiterai jamais Nantes.
Ta fille qui t’aime  Adèle Monnier

Septembre 1857:
Ma chère mère,
J’ai les 14 cents francs ne te tourmente pas. Ma pauvre mère il ne t’est pas arrivé de mal que je suis contente, plus tu es  agée plus je tiens à toi, quant à moi cette petite affaire m’a bien pris le quart de ma vie. Dans l’excès de mon inquiétude j’ai écrit à Madame Lapointe en cas que tu fus trop malade pour me répondre mais je n’ai pas affranchi la lettre, si ce n’est pas inconvenant je voudrais bien que tu lui en remettes le prix. Tu lui dirais de ma part que quand je serai un peu remise de cette affaire, j’aurai le plaisir de répondre à sa lettre. La commis qui n’a pas bien cherché la lettre nous a fait bien du mal. Ce n’était pas le manque d’argent, il m’en restait, je croyais qu’il t’était arrivé malheur aussi quand j’ai vu ton écriture cela m’a rendu la vie. Je répondrai à ta lettre courant du mois, tu en recevras deux dont une pour remettre à madame Lapointe. Ma lettre te fera plaisir mais à condition qu’aussitôt ma lettre reçue tu prennes une domestique. Je t’expliquerai cela, c’est à cette condition que tu me reverras. Je n’accepte pas les 200 F que tu as mis de plus parce qu’ils ne viennent pas d’une bonne source, si tu avais une domestique tu n’aurais pas pu les envoyer à ta fille qui t’aime.
Sitôt ma lettre reçue prend une domestique près de toi, c’est à cette condition que j’irai te voir. Si tu n’en prends pas tu mourras de quelque mort violente et il me reste  une vie si faible que ta mort entrainerait la mienne. J’irais te voir l’année prochaine quand tu seras revenue de la Guerche mais à cette condition. Ta fille qui t’aime Adèle Monnier.

Décembre 1858
Ma chère mère
Je t’écris un mot pour te souhaiter une heureuse année et surtout une bonne santé.
Mon voyage est encore reculé, je ne te fixe pas l’époque, j’arriverai quand je pourrai, au moins je n’aurai pas besoin de te récrire.
Je suis contrariée toujours à la veille de partir, je n’avais fait aucune provision  ce qui m’empêche de faire des remèdes.
Soigne bien ta santé surtout, pour que je puisse m’occuper de la mienne. Nourris toi bien,la santé passe avant l’argent.
ta fille qui te souhaite des jours heureux et longs.
Adèle Monnier

A la lecture de ce blog, un historien m’a contactée en 2011:

Je me permets de vous écrire car j’ai été très surpris de trouver sur votre site les trois lettres intitulées Lettres d’une inconnue. Il se trouve que je mène une étude sur la famille Monnier, installée sous l’Ancien régime, sur les paroisses de Eancé et Martigné-Ferchaud (diocèse de Rennes). Il s’agissait de petits bourgeois de campagne qui occupèrent des fonctions de notaire et procureur fiscal. L’un d’eux, Bonaventure Monnier, dit Monnier Deslardais (nom d’une ferme qu’il possédait) fut maire de Martigné, il décéda en 1829 à l’âge de 73 ans. Il était l’oncle de Adélaïde Monnier partie (je ne sais pourquoi) à Paris. Sa mère Anne Pirot épouse de Charles Monnier (frère de Bonaventure) vivait effectivement à Nantes rue Saint-Clément. C’est ainsi qu’en dépouillant plusieurs fonds de notaire aux archives départementales à Rennes j’ai retrouvé des actes de partage où tous ces personnages apparaissent. Dans les années 1830 plusiers membres de la famille Monnier sont disséminées à Nantes, à Morlaix et à Paris. Depuis quelque temps je cherchais précisément à joindre des descendants de la famille Monnier.

Il s’agit de la famille Monnier installée sur la commune de Martigné Ferchaud (Ille-et-Vilaine) à la veille de la révolution puis au début du XIXe siècle. Les Monnier était de petits notables locaux et le propre oncle d’Adèle devint maire de la commune pendant la restauration, il avait été notaire. …….. Il me faut « suivre » et reconstituer des familles souvent éteintes de nos jours comme c’est le cas pour les Monnier, étudier les patrimoines successoraux, l’appartenance à des assemblées locales (conseils municipaux, conseils de fabriques, responsabilités politiques, dons et legs à des œuvres sociales…), tout ce qui fait qu’un lignage a pu avoir à un moment ou un autre une certaine importance et une reconnaissance locale. C’est pourquoi des documents comme les lettres d’Adèle sont fort intéressantes car elles nous font pénétrer dans l’intimité de ces personnes.

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